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Courrier


Mentoring et culture institutionnelle à l'Université de Montréal

Le centre et la pertinence

Le consternant succès de la sophistique marchande


Mentoring et culture institutionnelle à l'Université de Montréal

Dans un précédent texte (Forum, 15 mars 1999), nous avons voulu attirer l'attention de la communauté universitaire sur la problématique du vieillissement du personnel à l'Université de Montréal et sur la nécessité de prendre les mesures qui s'imposent pour nous assurer de la transmission de l'expertise accumulée par les professeurs, les professionnels et les diverses catégories du personnel de notre établissement. Nous avions suggéré alors que les personnes près de la retraite puissent travailler à temps partiel tout en formant les jeunes de la relève. Notre suggestion semble avoir eu peu d'écho dans la communauté universitaire, auprès des gestionnaires et des syndicats jusqu'à ce jour.

Or, il nous apparaît clairement qu'il y a dans la culture organisationnelle de notre établissement un manque flagrant de perspective à long terme quant à la sauvegarde de l'expertise accumulée par le personnel, ainsi qu'un manque de structures de formation de la relève.

Si, dans le passé, l'impact de ces faiblesses ne s'est pas trop fait sentir, le fait qu'une partie relativement importante du personnel (professeurs, professionnels et autres) va prendre sa retraite dans les prochaines années change complètement la problématique. En effet, l'âge moyen des professeurs à l'Université de Montréal est de 51 ans et celui du personnel de soutien est de 45 ans*. Sans connaître la distribution statistique, on peut penser (phénomène des baby-boomers) que plusieurs personnes vont quitter notre établissement en même temps.

L'exemple de la préretraite des infirmières du réseau québécois de la santé est un exemple patent de perte d'expertise massive d'un personnel qui n'a pu transférer ses connaissances à la relève parce qu'il n'y avait pas de structures de mentoring et parce que beaucoup trop de postes ont été abolis en un temps très court, ce qui témoigne d'un manque de planification et de vision à long terme. On pourrait citer de nombreux exemples, chez nous, de personnes qui avaient signifié depuis longtemps leur départ pour la retraite et dont le poste ou la fonction exigeait une période de formation pour le remplaçant. En bout de ligne, la personne à qui l'on attribue un nouveau poste reçoit très peu d'aide pour s'adapter à ses nouvelles responsabilités. Signalons deux cas vécus (on ne peut évidemment pas mentionner de noms): le cas de ce professionnel de l'information, gestionnaire d'une collection ultraspécialisée, qui a quitté l'Université sans transmettre la moindre partie de ses connaissances à un nouveau titulaire, lequel ne deviendra réellement efficace que dans quelques années; ou encore, dans un autre ordre d'idées, le cas de ce jeune professeur, titulaire d'un doctorat de l'Université de Toronto, qui abandonne parce qu'il n'a pu publier suffisamment pour assurer son statut, ses thèmes de publication n'étant pas dans les préoccupations du jour. Un mentor aurait pu l'orienter vers des sujets plus actuels. Il faut comprendre que les tâches de tous sont de plus en plus complexes et nécessitent de plus en plus une "formation sur le tas" prolongée. Dans un contexte de mondialisation de l'économie, toute perte importante d'expertise pourrait coûter cher à notre établissement et, par ricochet, à toute la société québécoise, puisque ce sont les gens formés et informés qui financent par leurs taxes les services publics, y compris notre système de santé.

Ce sont avant tout les compétences de toutes les catégories de personnel qui font une université de qualité. Toute entreprise, par ailleurs, ne saurait survivre dans un environnement de plus en plus compétitif et complexe sans s'assurer de la transmission de l'expertise. C'est seulement le mélange des énergies nouvelles avec l'expérience accumulée qui peuvent assurer un avenir harmonieux à notre université. Il est tout à fait possible, sans tout chambarder, de créer des structures de transfert de l'expertise à l'Université de Montréal.

* Source: Service du personnel, Université de Montréal, janvier 2000.

À lire: Renée Houde, Des mentors pour la relève: essai, Montréal, Éditions du Méridien, 1995.

Luc Girard et Jihad Farhat
Bibliothécaires à la BLSH


Le centre et la pertinence

La ministre Pauline Marois et le premier ministre Lucien Bouchard

Depuis des années qu'on nous tanne avec ce projet d'hôpital universitaire, voici qu'une décision est enfin prise pour un nouvel hôpital avec tout le "confort technologique" moderne, et, bien sûr, on l'attaque de toutes parts. Permettez à quelqu'un qui en a assez de cette curieuse asthénie qui semble caractériser le Québec politique d'aujourd'hui, et qui de toute façon se tient assez loin (la plupart du temps...) des querelles de clocher de l'ancien temps - la cacophonie médiatique est tellement lassante -, d'apporter deux petits faits qui font trouver un peu curieuse l'attaque des professeurs Lewis et Beaudet, de l'Institut d'urbanisme, contre la récente décision de la ministre Marois (Forum, 14 février).

Je trouve étrange qu'une localisation pratiquement au-dessus d'une station de métro située à quatre minutes de Berri-UQAM (quatre stations donc) soit quasiment qualifiée de la campagne. Que ce projet ne soit pas très structurant pour le centre-ville à proprement parler, nul ne saurait le contester, mais il saura sûrement être structurant pour ce quartier situé juste à la périphérie du centre-ville d'aujourd'hui, qui, de surcroît, a un bon potentiel de développement. Autre avantage: l'emplacement choisi est au centre géographique de Montréal (ce que nos auteurs mentionnent) et il échappe la plupart du temps aux grands et petits embouteillages du centre-ville actuel. Quand on est en ambulance, en état d'urgence, un embouteillage, ce n'est pas particulièrement rassurant!

Par ailleurs, nos deux professeurs nous assurent de la fermeture de presque tous les hôpitaux du centre-ville d'ici peu. On se demande bien s'ils ont jeté un coup d'oeil sur notre désastreuse pyramide des âges. D'ici 10 ans au maximum, la population des plus de 50 ans aura crû dans une proportion phénoménale. On rapporte dans Le Devoir (19 février dernier) que la proportion de la population des plus de 65 ans croîtra, elle, par un facteur de plus de 60% d'ici 20 ans (a-t-on tenu compte dans ce calcul de l'évolution, pas particulièrement à la hausse, hélas! du taux de natalité?). La banlieue perd de ses attraits quand les enfants sont partis, le chien mort... On verra probablement un certain retour à la ville, et ce quartier tout juste en périphérie du centre prendre beaucoup de valeur, d'autant plus que l'implantation d'un hôpital tout neuf aura fait son effet.

Quoi qu'il en soit, les installations qu'on aura libérées pour construire ce nouvel hôpital ne seront pas détruites, elles pourront être réutilisées sans grand effort à des fins qui conviennent bien aux installations actuelles. Il y aura, d'ici peu d'années, tellement de besoins liés à notre vieillissement accéléré qu'on n'aura sûrement pas de lits en trop au Québec!

Il m'apparaît donc, tout profane que je sois, que le coeur de l'argumentation des deux professeurs ne tient pas bien la route. On peut se demander si l'absence des études d'impact, de pertinence, etc., déplorée par nos auteurs, à tout le moins de celles qui les satisfont, n'aura pas constitué autant d'économies... Pourquoi cette incapacité à passer à autre chose ? Trois ans, c'est beaucoup pour se décider!

Le lecteur intéressé pourra trouver une élaboration de ce texte, ainsi que la pyramide des âges du Québec, sur le site Internet suivant, sous la rubrique Société: http://www.magi.polymtl.ca/bourdeau.

Marc Bourdeau, professeur
École Polytechnique


Le consternant succès de la sophistique marchande

Au moment où nous rédigeons ces lignes, le rapport du comité du vice-recteur aux affaires publiques sur la publicité commerciale qui envahit le campus n'a pas encore été débattu à l'Assemblée universitaire. Si le rapport ne rencontre pas assez d'opposition, l'asservissement de notre alma mater à la logique du marché aura peut-être franchi une étape décisive. Car ce rapport, qui devait se prononcer sur le bien-fondé de la publicité commerciale sur nos murs, élude la question. Loin de recommander le retrait pur et simple de ladite publicité, il en favorise au contraire le maintien "balisé". Même si - le bilan qu'on y trouve l'atteste clairement - les revenus qu'en tire l'établissement sont parfaitement dérisoires, eu égard aux chiffres du budget annuel et du déficit cumulé.

Sous la pression de la critique, les partisans du mercantilisme "sans complexe" finissent généralement par admettre que l'impact financier des stratégies qu'ils défendent est négligeable. Ainsi, commentant le renoncement forcé de l'UQAM au contrat d'approvisionnement exclusif avec Coca-Cola, Louise Dandurand, vice-rectrice à la recherche, à la création et au développement, confiait au Devoir (13 janvier 2000) que, pour le conseil d'administration dont elle fait partie, le pétillant dossier n'était pas "prioritaire, et surtout pas au coeur de nos activités économiques". Mais ceci ne l'empêche pas d'insinuer que les étudiants qui ont combattu l'entente avec Coke ont fait preuve d'aveuglement quant à leur propre intérêt, puisque "les sommes [ainsi] recueillies auraient uniquement servi à [les] soutenir [...], essentiellement sous forme [sic] de bourses et d'autres services".

La question est donc bien celle-ci: pourquoi l'Université renie-t-elle sa nature et ses fins en s'ouvrant au matraquage publicitaire? Pourquoi est-elle prête à se prostituer pour moins qu'un plat de lentilles? La réponse est, bien sûr, que le véritable but de la transaction n'est pas l'obtention d'une si maigre pitance (dont on ose encore nous dire qu'elle vaut quand même mieux que rien...), mais bien la poursuite sans relâche du conditionnement des esprits, qu'on essaie de rendre de plus en plus perméables au credo néolibéral. L'Université veut faire bonne impression auprès des sociétés qu'elle approche pour des dons. Ouverte au capital et au mercantilisme, elle forme une relève acquise aux vertus de l'entreprise et du capital privés, promus sauveurs ou mécènes de l'éducation supérieure. Le rapport du comité du vice-recteur aux affaires publiques est à comprendre dans cette perspective: comme le pendant interne (le cheval de Troie) de l'offensive menée à l'extérieur par le ministre Legault avec son Projet d'énoncé de politique pour les universités, laquelle offensive, si elle est approuvée (ce qui risque fort d'être le cas), fera passer l'Université du statut déjà bien acquis d'"antichambre du marché du travail" (Guy Rocher) à celui de petite chambre de commerce. C'est ce à quoi il faut s'attendre lorsqu'on élit des politiciens dont le dessein le moins caché est de mettre un homme d'affaires aux commandes de l'éducation.

Dans sa pertinente critique dudit projet ("Non à l'université Legault", Le Devoir, 19 novembre 1999) - vrai bol d'air par ce temps d'irrespirable conformisme que nous traversons - , Guy Rocher s'alarmait à juste titre de "la benoîte passivité avec laquelle nous, de la communauté universitaire, avons reçu ce document". "Sommes-nous, demandait-il à ses pairs, à ce point colonisés par la mentalité utilitariste qu'il ne nous est plus possible de dire non à l'université Legault?"

Peut-être le sommes-nous au point de refuser même d'entendre la question. Nous semblons, en tout cas, déterminés à n'y point répondre. Prêts à toutes les complicités et à toutes les démissions.

Mais pour en arriver là, pour que le cynisme soit si répandu parmi nous qu'on y voie presque une vertu, il a fallu une longue période d'incubation, pendant laquelle le carriérisme (que caractérisent le souci de ne rien dire qui risquerait de compromettre la plus légère promotion, de faire perdre le moindre privilège ou de troubler tant soit peu son confort; l'aptitude aux complaisances qui vous valent d'opportuns retours d'ascenseur; l'indifférence à tout le reste) est devenu la morale dominante des clercs.

S'il n'en était pas ainsi, nous - membres de la communauté universitaire ou simples citoyens - ne serions pas si nombreux à accueillir d'un haussement d'épaules des aberrations comme celle qui consiste à invoquer la liberté d'expression (!) pour légitimer la souillure publicitaire de l'Université. Nous n'accepterions pas que cette dernière soit à vendre, encore moins qu'elle puisse être bradée. Et nous ne laisserions pas ses bradeurs attitrés dire qu'ils n'en peuvent, mais emprunter à leurs maîtres le discours hypocrite de l'impuissance navrée pour travestir leur adhésion enthousiaste à l'air du temps.

D'une seule voix, nous dirions NON à tout cela.

Personnel enseignant et de recherche: Othmar Keel (Histoire), Marianne Kempeneers (Sociologie), Guy Rocher (Droit), Georges Desrosiers (Médecine), Marie-Andrée Bertrand (Criminologie), Mohamed Sfia (Sociologie), Bernard Bernier (Anthropologie), Claude Morin (Histoire), Thérèse Cabana (Sciences biologiques), Pierre Beaucage (Anthropologie), Denise Couture (Sociologie), Denyse Baillargeon (Histoire), Mylène Jaccoud (Criminologie), Gabriel Gagnon (Sociologie), Nicole Laurin (Sociologie), Gilbert Renaud (Travail social), Deirdre Meintel (Anthropologie), Louise Bouchard (Sciences infirmières), Rémi Savard (Anthropologie), Philippe Smith (Anthropologie), Jean-Claude Muller (Anthropologie), Luc Racine (Sociologie), Paul Sabourin (Sociologie), Gisèle Legault (Travail social), Michèle Dagenais (Histoire), Bernard Brody (Relations industielles), Jean Poirier (Démographie), Marthe Faribault (Linguistique), Guy Laflèche (Études françaises), Bernard Dupriez (Études françaises), Jean Larose (Études françaises), Jacques Rouillard (Histoire)

Personnel non enseignant: Nathalie Lecavalier (Sociologie), Sylvianne Ladouceur (Sociologie), Carole Racine (Sociologie), Marie Brûlé (Sociologie), Françoise Dauphin (Sociologie), Diane Keatting (Anthropologie), Christiane Jouanet (Géographie), Nicole Morasse (Géographie), Marie Brière (Sociologie)

Diplômés et étudiants: L.C. Fernandez (Psychologie), Louise Baril (Polytechnique), Rita Desjardins (Histoire), Gilles Baril (Polytechnique), Guy Grenier (Histoire), François Hudon (Histoire), Myriam Spielvogel (Sociologie), Chantal Daumas-Saab (Travail social), Suzanne Mongeau (Travail social), Marcelo Otero (Sociologie), Alicia Sliwinski (Anthropologie), Yves Lajoie (Histoire), Edite Noivo (Sociologie), Nathalie Durand (Criminologie)


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