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L'éthique de la recherche: casse-tête pour les chercheurs

Des spécialistes des universités McGill et de Montréal se penchent sur la question.

Abraham Fuks

Sonya Audy

"Nous avons le consentement des sujets!" C'est la réponse qu'a obtenue Abraham Fuks quand il a demandé à un chirurgien si son projet de recherche "à haut risque" était "éthique". Cette réponse a choqué le doyen de la Faculté de médecine de l'Université McGill. "Quand vous allez dans un restaurant et que vous choisissez tel ou tel plat du menu, vous donnez un consentement. Ça ne veut pas dire que le restaurateur n'a pas de responsabilités", a-t-il expliqué au cours d'une journée de réflexion organisée par la Faculté de médecine de l'Université de Montréal le 23 avril dernier.

La signature des volontaires au bas d'un formulaire de consentement, c'est la clé qui permet d'obtenir l'absolution du comité d'éthique de la recherche, qui ouvre la porte aux demandes de financement et à la publication des résultats. Mais de plus en plus, les observateurs se demandent si ce document n'est pas devenu un moyen de contourner les véritables enjeux de l'expérimentation humaine.

"Malgré les paroles sécurisantes et l'assurance qu'ils sont libres de participer ou non à un projet de recherche, les patients ont toujours un peu peur de décevoir leur médecin quand celui-ci leur offre de participer à un projet de recherche", dit Sonya Audy, avocate et chargée de cours au Diplôme d'études spécialisées en bioéthique. La recherche clinique a besoin de volontaires pour évoluer, affirme la spécialiste. Il ne faudrait donc pas considérer l'éthique comme une nuisance.

Pierre Deschamps

Philippe Chessex

Des codes élastiques
Pierre Deschamps, directeur du Centre d'étude en droit privé et comparé du Québec, à l'Université McGill, dit qu'il n'y a jamais eu tant de règles, codes, normes, déclarations visant à protéger les sujets humains. Faut-il s'en réjouir? Pas vraiment. Cela marque un intérêt croissant pour les questions éthiques, mais il y a un relâchement graduel de la protection des sujets de recherche d'une époque à l'autre.

"Le code de Nuremberg disait non, en 1947, à toute expérimentation sur des sujets qui ne pouvaient donner leur consentement, par exemple les enfants et les personnes souffrant de maladies mentales. La déclaration d'Helsinki autorisait, en 1969, la recherche chez ces sujets si le tuteur ou le curateur y consentait. Le nouveau Code civil du Québec reconnaît cette possibilité. Des chercheurs aimeraient pousser plus loin et obtenir l'autorisation d'expérimenter chez des sujets humains inaptes qui n'ont aucun tuteur ou curateur."

"M. Deschamps, qui a laissé son nom à un rapport significatif sur l'éthique de la recherche au Québec (en collaboration avec l'actuel doyen de la Faculté de médecine, Patrick Vinay), ajoute que des idées encore plus absurdes circulent actuellement. Ainsi, grâce au "consentement différé", une personne accepterait d'avance de participer à une recherche.

On a aussi vu apparaître le "postconsentement". Ainsi des recherches sont menées sur des patients qui n'en sont pas informés "afin de ne pas les inquiéter". On les met au courant quand l'étude est terminée. Enfin, certains hôpitaux américains procèdent à des expériences sans avoir obtenu le consentement des sujets. Il s'agit de recherches menées en situation d'urgence, alors que la vie de la personne est en danger.

Ces situations inquiètent le juriste. "Les chercheurs ont parfois l'impression que l'éthique circule dans leurs veines. C'est faux."

Les comités d'éthique: beaucoup de travail
À l'intérieur d'un hôpital, aucun projet de recherche ne débute sans avoir reçu un avis favorable du comité d'éthique de la recherche. Mais une étude citée par M. Fuks fait réfléchir: les 3000 à 5000 comités américains reçoivent en moyenne 18 nouveaux protocoles par réunion, qui dure en moyenne deux heures et demie. Cela laisse peu de temps pour discuter des enjeux éthiques. D'autant plus qu'ils doivent approuver une quarantaine d'amendements de recherches en cours et produire des lignes directrices qui reflètent la philosophie de l'établissement.

La recherche sur l'embryon humain, l'utilisation des placebos, le contrôle de la recherche biomédicale, la constitution de banques de données contenant des renseignements personnels: voilà des exemples de sujets qui parviennent jusqu'au comité d'éthique de la recherche de l'hôpital Sainte-Justine. Philippe Chessex, son président, confirme que les exigences envers ces comités sont très élevées. Et le travail ne manque pas: 336 projets de recherche sont actuellement en cours dans l'hôpital. Le comité approuve de 90 à 100 nouveaux projets par année. Et tout cela bénévolement.

Cette notion de bénévolat devrait d'ailleurs être revue, estime M. Chessex. Si l'on veut que le travail soit accompli par des experts et qu'il soit bien fait, il vaut mieux rétribuer les collaborateurs. Cette opinion ne fait peut-être pas l'unanimité parmi les éthiciens, mais elle semblait rallier la majorité des participants de la journée de réflexion.

Mais ce qui tarabuste le plus M. Chessex, c'est que personne ne veut payer pour le fonctionnement du comité d'éthique, un budget de quelque 90 000$. Le gouvernement dit que c'est au conseil d'administration de régler la note. Celui-ci renvoie la balle au centre de recherche, qui s'en remet à l'Université. Au bout du compte, c'est le chercheur qui reçoit la facture...

"À qui profite l'évaluation éthique? Sur le plan financier, elle profite à l'établissement, qui évite ainsi les poursuites. Sur le plan scientifique, elle profite au chercheur. En dernier lieu, on retrouve l'intérêt du sujet de recherche", dit M. Chessex.

Tout cela se fait dans une explosion de paperasse. "Combien d'arbres coupe-t-on à blanc pour produire tout ce papier? Difficile à dire."

Mathieu-Robert Sauvé



Cloner ou ne pas cloner?

"Les connaissances sur le clonage peuvent servir à la constitution de banques d'organes"; "Il vaut mieux participer à la recherche sur le clonage pour rester compétitif à l'échelle internationale"; "Le clonage permet de créer des individus identiques physiquement; il restera toujours le facteur environnemental pour former la personnalité".

Ces arguments ont été invoqués par les membres d'une équipe favorable au clonage humain au cours d'un débat organisé par l'Association des étudiants aux grades supérieurs de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal le 22 avril dernier. "Le clonage est un thème très à la mode, explique Joël Monzée, président de l'association étudiante. Les succès de l'équipe anglaise qui a créé Dolly ont ravivé quelques vieux débats sur les limites de l'expérimentation scientifique."

Les partisans avoués du clonage reproductif humain n'étant pas légion, c'est sur le mode du jeu de rôles que les étudiants ont choisi d'aborder le thème. Deux équipes se faisaient face: l'une favorable, l'autre opposée à la technique.

Par la suite, Marie Trudel, de l'Institut de recherches cliniques de Montréal, a expliqué que le clonage était quotidiennement pratiqué dans nos laboratoires. Le plus souvent, il s'agit de clonage moléculaire, soit de séquences d'ADN, ce qui permet un grand nombre de recherches en biologie moléculaire. Mais le clonage cellulaire est également pratiqué à l'occasion sans soulever de débats éthiques. Là où l'opposition est la plus vive, c'est au chapitre du clonage d'organismes entiers, heureusement beaucoup plus rare.

La soirée, fort instructive, s'est achevée par une discussion avec des spécialistes de divers domaines: Pierre Durand, président du comité d'éthique à Santé Québec et professeur à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal; Marc Desforges, étudiant au doctorat; le philosophe Jean-Marie Therrien; et le vice-doyen à la recherche de la Faculté de médecine, Jean-Luc Malo, ont échangé leurs points de vue sur la question.

En une phrase prononcée par M. Therrien, on peut résumer les propos des participants: "La loterie génétique est encore la meilleure protection contre la tentation de l'enfant parfait."

M.-R.S.


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