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Les Mayas de Cancún au-delà des cartes postales

La géographe Lucie Dufresne analyse l'intégration des Mayas à la société mexicaine.

"On a peu de données démographiques sur les Mayas parce que le Mexique n'a pas de politique autochtone", indique Lucie Dufresne. Le nombre d'autochtones parlant maya est estimé à deux millions; la moitié habitent la péninsule du Yucatán, où ils forment plus du tiers de la population, et les autres se retrouvent principalement au Chiapas et au Guatemala.

Cancún a trois visages: celui des touristes nord-américains, celui des gens d'affaires et bureaucrates mexicains et celui des travailleurs, migrants et démunis. Ce troisième visage, c'est celui des Mayas qui quittent leurs terres pour devenir progressivement des Canunenses.

"Ils arrivent de fort loin", affirme Lucie Dufresne, qui a observé pendant 18 ans ce long voyage dans le temps qu'effectuent les Mayas de la péninsule du Yucatán. Leur intégration à la vie urbaine depuis la création de Cancún en 1970 constituerait, à son avis, un "phénomène d'une rapidité spectaculaire".

Professeure de géographie humaine au Département de géographie, Mme Dufresne présente les étapes de cette intégration et du processus de mexicanisation dans un tout récent volume qui a pour titre Les Mayas et Cancún.

"Je montre comment cette civilisation a été acculturée, puis gardée dans le formol pour servir de bassin d'esclaves jusqu'en 1915 et de main-d'oeuvre bon marché encore aujourd'hui." Des processus qui, souligne-t-elle, "n'apparaissent pas sur les cartes postales".

Qui sont les Mayas?
Les Mayas vivent présentement une profonde crise d'identité. "Ils ne se considèrent ni comme des Mayas ni comme des Mexicains, soutient Lucie Dufresne. Le terme "maya" a été attribué par les Espagnols à un ensemble de 16 tribus précolombiennes qui parlaient la même langue. Pour ceux qui parlent maya aujourd'hui, le terme a une connotation de barbare qui vit dans la forêt et qui fait la guerre. Ils sont par ailleurs incapables de se dire mexicains parce qu'ils ont été vaincus et opprimés par les Espagnols."

Les Mayas sont en fait des milperos ou des ejidatarios, c'est-à-dire des paysans, identité qu'ils perdent lorsqu'ils s'intègrent à la ville. "La seule institution qui dure est alors la famille", observe la professeure.

La création de toutes pièces de la ville de Cancún pour les besoins du tourisme entraîne un effet paradoxal: si la ville constitue une "porte de sortie de l'indianité", l'industrie touristique recherche en revanche le côté exotique des autochtones.

"Cet attrait des touristes envers la culture, l'art, les vêtements et les traditions indigènes a forcé les élites à s'y intéresser à leur tour, et le maya est maintenant enseigné dans les écoles", mentionne Lucie Dufresne. "Mais, précise-t-elle dans son volume, les Mayas ne tirent qu'un profit symbolique de l'intérêt qu'on leur porte. Ils faisaient jadis partie du capital des haciendas. Ils font maintenant partie du capital touristique, au même titre que le sable blanc, les palétuviers, les bancs de coraux, les oiseaux rares et les ruines laissées par leurs ancêtres."

Néolibéralisme
Pour Lucie Dufresne, le phénomène de l'urbanisation n'a toutefois pas que des effets pervers. "Des études montrent que la situation s'aggrave, mais on n'a pas de données sur les conditions prévalant avant 1980." Elle est plutôt portée à penser que l'industrie touristique de Cancún entraîne une légère amélioration des conditions de vie des Mayas, notamment pour ce qui est de l'alimentation et de l'habillement.

"Ceux qui travaillent en ville font vivre leur famille et paient les études des plus jeunes. Aujourd'hui, tout le monde mange tous les jours et les enfants ont des souliers, ce qui n'était pas le cas avant 1970. Les limites de l'industrie touristique empêchent par contre d'espérer une amélioration radicale des conditions de vie de ce peuple, qui a toujours entretenu l'élite."

Les Mayas de la péninsule du Yucatán seraient ainsi l'un des rares peuples autochtones à qui profiterait quelque peu le virage néolibéral qui, selon la professeure, a amené le gouvernement mexicain à abandonner le programme de soutien financier aux paysans au début des années 1980.

La présence de ce riche centre qu'est Cancún pourrait également y être pour quelque chose dans le fait que les Mayas de la péninsule n'ont pas suivi l'appel à la rébellion de leurs frères du Chiapas. "Le soulèvement des zapatistes n'a pas eu d'influence au Yucatán et l'appel de Marcos n'a pas été entendu, affirme Lucie Dufresne. Les rebelles des années 1970 se sont intégrés et les Mayas du Yucatán suivent le processus de démocratisation sans recourir à la violence."

Le livre de Lucie Dufresne est divisé en deux grandes parties: la première relate l'histoire des Mayas jusqu'à la crise du néolibéralisme et la seconde présente l'intégration des Mayas à l'heure de Cancún.

De lecture aisée et agréable, le volume s'adresse à un public large mais intéressera tout autant l'historien, le sociologue et l'anthropologue que le géographe.

Daniel Baril

Lucie Dufresne, Les Mayas et Cancún, Presses de l'Université de Montréal, 1999, 345 pages.


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