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L'école québécoise en marche vers la laïcité

Selon Jean-Pierre Proulx et son groupe de travail, le système scolaire québécois doit prendre le virage laïque.

 

Dans un rapport qui a déjà fait beaucoup de bruit, le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école, présidé par le professeur Jean-Pierre Proulx, du Département d'études en éducation et d'administration de l'éducation, propose que le système scolaire québécois soit fondé sur le principe de l'égalité des droits fondamentaux pour tous. Ce qui semble aller de soi n'en constitue pas moins un virage majeur puisque cela implique la fin des privilèges confessionnels consentis aux catholiques et aux protestants et l'instauration d'un système scolaire laïque. Forum a rencontré Jean-Pierre Proulx.

Voir Jean-Pierre Proulx prendre la défense de l'école laïque en a étonné plusieurs. Qu'est-ce qui vous a convaincu, cette fois-ci, qu'il s'agissait de la bonne voie à suivre?

L'étonnement est dû à une méconnaissance de mes positions antérieures. Au cours des dernières années, je cherchais des postulats empiriques et j'ai fait preuve de réserve par obligation professionnelle. Mais depuis mon engagement dans la "cause" de l'école Notre-Dame-des-Neiges, j'ai toujours été sensible au pluralisme. Quand j'étais au Devoir, mes positions reposaient sur le respect de la liberté de religion et de la liberté de conscience comme principes importants de l'organisation sociale.

Le respect de ces principes à l'école passe ou bien par une école "communautarienne", dans laquelle chaque groupe a son enseignement religieux, ou bien par une école laïque. Les délibérations du groupe de travail ont permis de clarifier les enjeux et de mieux cibler la position à prendre. La question fondamentale était: le système scolaire doit-il être organisé en fonction de l'égalité des droits de tous ou en fonction des droits et privilèges des seuls catholiques et protestants? Au terme des délibérations, nous avons tranché en faveur de l'égalité pour tous.

Le consensus a-t-il été difficile à atteindre?

La problématique était nouvelle pour tous les membres du groupe. J'avais une certaine connaissance des questions juridiques liées à la confessionnalité, un autre membre avait une connaissance sociologique et tous les autres étaient des gens de terrain. Nous avons pris huit mois pour nous approprier le dossier. Le consensus s'est fait à la lumière de quatre paramètres: la finalité philosophique du rapport entre l'État et la religion; le rapport entre droits fondamentaux et droits des parents; les choix de société du Québec; et les attentes sociales des citoyens, plus particulièrement celles des acteurs de l'école comme les parents, les enseignants et les administrateurs.

Le modèle laïque nous est apparu comme celui qui s'harmonise le mieux avec les buts sociétaux du Québec en assurant la cohésion sociale dans le respect de la diversité.

La laïcisation de l'école nécessite la révocation de la clause dérogatoire. Le gouvernement l'invoque depuis 15 ans alors qu'il passe outre aux avis de la Commission des droits de la personne sur cette question depuis 20 ans. Qu'est-ce qui vous fait penser qu'il pourrait maintenant changer d'attitude?

Il y a eu un changement d'attitude depuis la publication du rapport sur les états généraux de l'éducation, qui a proposé lui aussi de laïciser le système scolaire. En 1994, j'étais l'un des seuls à dénoncer, en tant que catholique engagé, la reconduction de cette clause. Aujourd'hui, la question du respect des droits et libertés a atteint l'opinion publique. Il y a un mouvement social fort, porteur d'une vision égalitaire des droits et libertés en éducation. La question est posée et elle est maintenant incontournable. Le gouvernement devra trancher en fonction du choix de société.

L'Assemblée des évêques considère qu'un système scolaire laïque serait l'extrême opposé de l'actuel système confessionnel unique...

Les évêques font une mauvaise lecture de notre rapport. Ils veulent une diversité institutionnelle, avec des écoles "autres" pour les non-catholiques et non-protestants, alors que nous proposons la diversité à l'intérieur des écoles. Ces écoles offriraient un enseignement sur les religions et sur les visions humaniste et séculière du monde. Elles auraient aussi un service d'animation de la vie religieuse et spirituelle offrant un accompagnement à tous ceux qui ont besoin de référents spirituels. Ce n'est pas rasoir, ça.

N'aurait-il pas été logique de laïciser également ce service de pastorale pour en faire un service d'action humanitaire à l'image de ce qui s'est fait ici, à l'Université de Montréal?

À notre avis, il ne faut pas confondre l'humanisation du milieu scolaire avec le besoin de soutien spirituel. Nous pensons que la dimension spirituelle justifie un service en soi. Ce service collectif, laissé au choix de l'école, ferait appel aux compétences des religions afin de répondre à la recherche de sens du jeune. L'animateur d'un tel service devra savoir faire preuve d'ouverture d'esprit à l'égard des convictions autres que les siennes et cette habileté devra faire partie de sa formation et des conditions d'engagement. Il aura à jouer un rôle d'aiguilleur. Nous nous sommes inspirés ici du rôle des aumôniers dans les lycées français ainsi que du travail des animateurs dans certaines polyvalentes multiethniques.

La Fédération des comités de parents considère, pour sa part, que votre rapport ne respecte pas le libre choix des parents...

Au Québec, la population s'est fait une idée de l'éducation à travers les conceptions philosophiques catholiques. Ces conceptions affirment la primauté de la responsabilité des parents dans l'éducation des enfants et l'on en conclut que l'État ne doit être qu'un fournisseur de services. Mais on ne peut concevoir l'école publique comme une simple extension de la société civile. L'État a la responsabilité d'assurer le droit à l'éducation; il a aussi l'obligation d'assurer le développement des habiletés nécessaires à la vie en société, le développement du sens démocratique et du jugement critique. Il faut le considérer comme un partenaire des parents. La contrainte du partenariat, c'est qu'il faut respecter la neutralité de l'État en matière de religion.

L'école laïque n'est par ailleurs pas une école sans valeurs. Les projets éducatifs peuvent être axés sur le développement de toute valeur morale dans la mesure où ils ne sont pas fondés sur des croyances propres à une confession religieuse.

Quant à la Fédération des comités de parents, bien sûr, elle réagit mal. Les Québécois, qui sont encore très marqués par l'appartenance catholique, associent ce trait à l'appartenance nationale. Il faudra une pédagogie sociale afin de faire évoluer la pensée, dépasser le choc provoqué par le rapport et aller au-delà de l'incompréhension. Ce rapport suscite lui-même un débat public en ce sens; le gouvernement aura, par la suite, à décider comment il fera les choses.

La reconduction de la clause dérogatoire pour deux ans, est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle?

Le gouvernement devait le faire pour des raisons pragmatiques. Le fait qu'il l'ait reconduite pour deux ans plutôt que cinq comme le lui permet la loi est un signal indiquant qu'il veut amorcer le débat social et politique plutôt que de laisser la question aux tribunaux en abrogeant la clause dès maintenant.

Je suis d'accord avec une position prudente. Deux ans, c'est le temps nécessaire pour ternir une commission parlementaire, adopter un projet de loi et procéder à la mise en oeuvre d'une réforme. Qu'il y ait ou non des calculs politiques derrière cette décision, ce délai me paraît techniquement justifié.

Propos recueillis par Daniel Baril


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