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Les tentacules du nouvel âge

Une pensée à la mode, marquée par une dérive épistémologique

La littérature nouvelâgiste représente 20% des ventes des librairies, estime Martin Geoffroy. Le genre déborde dans les autres domaines comme la philosophie et la sociologie, symptôme d'une confusion entre science et croyance.

"Le mouvement nouvel âge est comme une pierre qui roule mais qui, contrairement au proverbe, amasse beaucoup de mousse. Ses tentacules s'étendent à tous les aspects de la vie personnelle et sociale - la culture, l'écologie, la santé, la science, les gestes quotidiens - et récupèrent les nouvelles idées dans un emballage pseudo-scientifique. Le problème, c'est que les gens ne font plus la différence entre science et croyance."

Martin Geoffroy, étudiant au doctorat au Département de sociologie, s'intéresse au mouvement nouvel âge depuis plusieurs années. Il y a d'ailleurs consacré sa maîtrise et son doctorat et il est parvenu à établir une typologie descriptive là où plusieurs auteurs ne voyaient qu'un "fourre-tout nébuleux" aux contours insaisissables.

Dérive épistémologique
S'il est impossible de mettre un chiffre sur le nombre d'adeptes de ce mouvement à caractère religieux, l'étudiant n'hésite pas, à la lumière des ventes de volumes nouvelâgistes, à parler de raz-de-marée.

"La littérature nouvel âge représente 20% du marché du livre au Québec, souligne-t-il, soit un chiffre d'affaires de cinq millions de dollars par année. Les titres québécois sont tirés en moyenne à 3000 exemplaires chacun, ce qu'aucun autre genre littéraire ne réussit à égaler. Et c'est sans parler des succès internationaux, comme La prophétie des Andes tirée à cinq millions d'exemplaires."

Ceci n'aurait rien d'inquiétant en soi si ce n'était le fait que la pensée nouvelâgiste déborde maintenant dans des disciplines sérieuses comme la philosophie, la sociologie et le management. Martin Geoffroy observe, chez les adeptes de ce mouvement, "une rupture épistémologique montrant que l'expérience religieuse est mise sur le même pied que la démarche scientifique".

Pour avoir donné plusieurs conférences sur le sujet en milieu universitaire, l'étudiant se montre préoccupé par cette dérive. "Dans les religions, on sait que les croyances relèvent de la foi. Dans le nouvel âge, on nous dit que les croyances sont fondées sur des faits scientifiques. On ne fait plus la distinction entre science et croyance; l'idéologie s'infiltre dans la science et en menace les principes de base."

Vision holistique
Cette façon subjective d'aborder la réalité - conduisant à mettre sur le même pied la physique quantique et le "vol yogique" - est une des caractéristiques du nouvel âge mise en évidence par la typologie de Martin Geoffroy.

Le mouvement puise ses énoncés dans la tradition ésotérique enseignant que le savoir est accessible par expérience mystique ou autorévélation. "Pour les ésotéristes, souligne le chercheur, tout est interrelié: l'intuition conduit au transcendant et se connaître soi-même permet d'atteindre Dieu."

Cette croyance va de pair avec une autre dimension fondamentale du nouvel âge, soit la vision holistique de la société. Si tous les éléments de l'univers sont interreliés, chaque partie reflète l'ensemble: la santé de l'individu est ainsi liée à la santé de la terre, qui est considérée comme un être vivant. On guérit le corps en balançant les chakras et l'on soigne le psychisme avec des thérapies alimentaires.

"Ceci entraîne des comportements écologiques et pacifistes mais, ajoute Martin Geoffroy, des attitudes parfois asociales: tout est centré sur l'individu et les dérèglements sont considérés comme des effets de notre mode de vie."

L'individualisme postmoderniste des nouvelâgistes n'est toutefois pas absolu. L'élément communautaire, au coeur de tout système religieux, y est également présent. Cette fois, c'est la librairie spécialisée, la conférence ou le cours de formation qui tiennent lieu d'églises. "La plupart des livres nouvelâgistes aboutissent à la création d'un cours parce que les adeptes ont besoin d'un lieu de rencontre pour partager leurs expériences et se conforter dans leurs croyances."

Mais le mouvement demeure trop éclectique pour que ces rencontres engendrent un véritable sentiment d'appartenance. Rejetant tout système organisé, les nouvelâgistes refusent même l'étiquette de "nouvel âge". "Jacques Languirand, qui est une figure de ce mouvement, refuse catégoriquement cette étiquette", affirme Martin Geoffroy.

Une telle attitude complique l'analyse du mouvement et l'étudiant reconnaît que bien peu de gens sont nouvelâgistes à cent pour cent. C'est d'ailleurs pourquoi il a cherché à circonscrire le mouvement en dressant sa typologie; certains sont nouvel-âgistes par leur vision du social, d'autres par leurs croyances mystico-ésotériques, et d'autres encore par leur recherche d'épanouissement personnel.

"Ils ont tous en commun d'adhérer à un mouvement culturel de masse qui répond à la question de la perte de sens par une nouvelle forme de religiosité imprégnant tous les aspects de la vie quotidienne", conclut Martin Geoffroy.

Daniel Baril


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