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Dérives postréférendaires néoracistes

La crainte de la "destruction du Canada" entraîne une dégradation des idéaux universalistes canadiens.

Au Canada anglais, les dérapages «racisants» se sont multipliés depuis le référendum de 1995, observe Maryse Potvin.

Depuis le référendum du 1995, l'opposition du Canada anglais au projet souverainiste québécois a commencé à déborder le domaine de l'argumentation politique pour glisser sur la dangereuse pente de l'ethnicisation de l'adversaire.

"La peur de la destruction du Canada entraîne un nouveau discours où le Québec est davantage présenté comme un ennemi plutôt qu'un adversaire politique", affirme Maryse Potvin, chercheuse associée au Centre d'études ethniques de l'Université de Montréal (CEETUM). Aux yeux des membres du CEETUM, ce discours politique et médiatique comportait suffisamment de dérapages pour justifier une analyse de contenu à la lumière des modèles théoriques du racisme.

"Ces dérives s'étaient jusque-là limitées aux propos de quelques idéologues marginaux comme Mordecai Richler ou Howard Galganov. Mais en quelques mois, elles ont franchi plusieurs paliers du racisme. Les discours marginaux ont fait place à une opinion plus systématique et à une violence verbale suffisamment répétitive pour que le problème ne soit plus jugé secondaire", indique Mme Potvin.

Le néoracisme
Les prises de position de certains éditorialistes, les propos de certains politiciens fédéralistes, le portrait "psychanalytique" de Lucien Bouchard et l'affaire Levine sont quelques-uns des éléments marquant une progression dans une dérive qualifiée de "racisante".

Selon la chercheuse, on peut parler de racisme même si l'on ne fait pas appel aux critères traditionnels comme la couleur de la peau. "Ce qu'on appelle l'"accusation biologique" n'est plus l'élément déterminant du racisme, explique-t-elle. Certains auteurs parlent de "néoracisme" pour désigner l'infériorisation de l'autre fondée sur les différences culturelles ou le mode de vie et motivée par la peur de l'autre. Même si ce néoracisme peut revêtir un aspect symbolique et s'exprimer par des sous-entendus, on y retrouve tous les mécanismes classiques du racisme: ethnicisation et biologisation des différences culturelles les rendant irréductibles, infériorisation et démonisation de l'autre le rendant menaçant, banalisation des préjugés, agression et légitimation politique."

Ainsi, avec le cas du profil psychologique de Lucien Bouchard dressé à distance par le psychiatre Vivian Rakoff, "nous sommes passés de l'ethnicisation à la démonisation", estime-t-elle. À partir de ce portrait, l'ensemble des souverainistes ont été présentés comme des gens sous l'emprise d'une politics of desire caractérisée par la passion - par opposition à la raison - et fondée sur le ressentiment.

Le journaliste Lawrence Martin faisait le même type de rapprochement dans sa biographie de Lucien Bouchard, où les traits diabolisés du premier ministre deviennent des caractéristiques des francophones. Maryse Potvin range dans cette même veine de l'ethnicisation diabolique le message du Parti réformiste, au cours de la dernière élection fédérale, invitant à ne plus élire de Québécois à la tête du pays.

La chercheuse a relevé une foule d'interventions de ce genre, allant de la banalisation du racisme dans les propos de Howard Stern, diffusés un temps sur les ondes de CHOM-FM, aux déclarations guère plus réfléchies de Diane Francis qui, dans le Financial Post, met en garde le Canada contre le conspirationnisme des souverainistes.

Mobilisation
Avec l'affaire David Levine, le discours franchit un autre échelon: il passe à la "nazification" et à la mobilisation populaire. "Les gens hostiles à la nomination de cet ex-souverainiste à la direction de l'hôpital d'Ottawa ont fait un usage répété d'analogies entre souverainisme et nazisme et craignaient que M. Levine remplisse l'hôpital d'administrateurs séparatistes. En éditorial, le Ottawa Citizen a repris les mêmes rapports entre souverainisme et nazisme tout en se défendant de faire du racisme. L'affaire Levine nous montre que la crainte d'un complot séparatiste contre le Canada est en train de pénétrer les esprits au Canada anglais."

Cet événement a également donné lieu à la légitimation politique de la peur de l'autre et de la mobilisation populaire. Mike Harris a soutenu qu'il aurait mieux valu aller chercher un Américain qui aime le Canada, pendant que la ministre de la Santé de l'Ontario suggérait à David Levine de démissionner.

Même si cette étude exploratoire ne visait pas à évaluer l'étendue de ces opinions dans le public en général, Maryse Potvin demeure certaine qu'il y a eu une augmentation de ces dérives "racisantes" depuis le référendum et que ceci "illustre qu'une partie de la population se sent menacée dans l'idée qu'elle se fait de la nation".

Ce qui l'inquiète davantage, c'est que le discours actuel montre que des idéaux universalistes composant en partie le concept de nation - comme la notion de compromis entre anglophones et francophones ou le contrat civique de la charte des droits - sont en train de "dégénérer en arguments racistes". "De la peur à l'hostilité, puis de l'hostilité à l'agression, le pas a souvent été franchi au cours de l'histoire", rappelle-t-elle.

Maryse Potvin poursuit ses travaux sur le discours postréférendaire dans le cadre du Programme de recherche sur le racisme et la discrimination du CEETUM. Le CEETUM a choisi de mettre l'accent sur la réaction du Canada anglais parce que le type de dérives en question y passe plus inaperçu qu'au Québec. "Ici, la presse est plus divisée et nos dérapages, comme la déclaration de Jacques Parizeau sur le vote ethnique, sont tout de suite montrés du doigt. On ne retrouve pas autant de mises en garde et d'analyses au Canada anglais, où les dérapages sont moins condamnés."

Daniel Baril


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