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Les adolescentes délaissent le sportpour suivre les copines

Suzanne Laberge cherche à comprendre pourquoi les adolescentes boudent l'activité physique.

La sociologue Suzanne Laberge croit que les professeurs ont la responsabilité de donner le goût de l'éducation physique à leurs élèves. Gros contrat!

"Rave", "preppy", "wannabe", "has been", "mannequin"... Voilà quelques étiquettes accolées aux groupes d'adolescentes qui, au milieu de leurs études secondaires, ne jurent que par leur groupe d'amies. Le fait que ces jeunes filles de 13 ou 14 ans en pleine recherche identitaire s'identifient si fortement à des "gangs" explique en partie leur intérêt décroissant pour les activités physiques entre leur arrivée à l'école secondaire et leur bal de fin d'études.

"Plusieurs études ont noté que les filles des écoles secondaires sont de moins en moins portées sur l'activité physique à mesure que leurs études évoluent. J'ai essayé de savoir pourquoi", explique la sociologue Suzanne Laberge, professeure au Département de kinésiologie. Alors que le quart des étudiantes participent volontiers à des sports organisés parascolaires au début du secondaire, elles ne sont plus que 1 sur 10 à le faire quelques années plus tard.

Les interviews menées par Mme Laberge dans trois écoles de différents milieux socioéconomiques de la région montréalaise ont révélé que les adolescentes ont un engouement très fort pour leur groupe d'amies. Ce phénomène typiquement contemporain semble transcender les classes sociales. "Les codes de groupe chez les filles sont beaucoup plus marqués que chez les adultes. Par exemple, si les 'mannequins' ne font pas de sport, il est rarissime qu'une de leurs membres osera s'afficher ouvertement comme sportive."

Heureusement, il y a les sportives
Parmi les groupes observés par la sociologue, il y en a au moins un dont l'envie de bouger n'a pas diminué: les "sportives". Celles-là ont toujours une serviette autour du cou et des chaussures de sport aux pieds. Faut-il y voir une contradiction? Pas du tout! "Les filles sont attirées par les activités qui leur procure du 'fun en gang', comme elles disent. Les sportives exercent donc leur activité ensemble. Elles peuvent passer des heures à discuter de tel ou tel aspect de l'entraînement."

Le ministère de l'Éducation a noté depuis longtemps la baisse d'intérêt pour le sport chez les jeunes filles. Des programmes ont été mis sur pied pour y remédier. "Dans un cas, on a voulu donner des responsabilités aux sportives pour qu'elles stimulent les inactives. Flop total. De façon unanime, les inactives affirment qu'elles ne participeraient pas à des activités organisées par les sportives. Les clivages entre les groupes sont clairs et nets."

La chercheuse, qui présentait les résultats de cette enquête au colloque international de sociologie, tenu à Montréal l'été dernier, croit qu'il fallait aller sur le terrain pour bien comprendre la dynamique en oeuvre chez ces jeunes filles en pleine construction de leur identité. Et à ses yeux, seule une approche qualitative, où la profondeur des entrevues avait plus d'importance que leur seul nombre, pouvait mener à des résultats significatifs.

De plus, Mme Laberge était consciente de la difficulté de percer la muraille de l'intimité des adolescentes. "Heureusement, j'ai été secondée dans ma recherche par une jeune étudiante à la maîtrise, Isabelle Moreau, qui a presque l'air d'une adolescente. Malgré la caméra vidéo, les répondantes se sentaient en confiance. Pour tout vous dire, j'étais perçue comme la technicienne en audiovisuel, ce qui faisait mon affaire jusqu'à un certain point."

L'éducation physique au pilori
D'autres aspects de la vie et des moeurs de nos adolescentes ont été mis au jour par cette étude. Par exemple, les cours d'éducation physique semblent parfois causer plus de problèmes qu'ils n'en résolvent, contribuant chez certaines à "créer un désintérêt profond pour le sport". C'est l'accent mis sur la performance et la technique qui est montré du doigt. D'ailleurs, de façon générale, les filles préfèrent les activités de participation aux compétitions, ce qui est diamétralement opposé à la tendance observée chez les garçons.

Alors que les activités en famille ont la "cote" auprès des enfants en bas âge, on observe un retournement de situation quand survient la puberté. "Typique de l'adolescence et du besoin de construction et d'affirmation de son identité propre, les jeunes femmes ne sont pas intéressées à faire des activités physiques en famille, note l'étude. Il est probable que le programme 'Famille au jeu' aura peu d'impact sur la pratique d'activités physiques."

Cela dit, assez curieusement, les filles qui ont un frère sportif sont plus portées sur l'activité physique régulière. "Parmi les sportives, certaines ont des parents tout à fait inactifs, mais c'est leur frère ou leurs amies qui les incitent à faire du sport", dit l'étude.

Enfin, on note que "la totalité" des adolescentes sont mal renseignées sur le niveau d'intensité et la fréquence minimale de pratique d'activités physiques nécessaires au maintien d'une bonne santé. "Les connaissances relatives à une bonne alimentation sont également nulles ou presque", ajoute Mme Laberge. Par exemple, un nombre effarant de jeunes filles ne prennent pas le temps de déjeuner.

Suzanne Laberge ne jette évidemment pas la pierre aux professeurs d'éducation physique qui, dans le contexte actuel, font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont. Elle conçoit que les enseignants aient affaire à une clientèle exigeante et complexe. Son étude, espère-t-elle, permettra de mieux la connaître.

Mathieu-Robert Sauvé


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