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La mort médicalement assistée

Hubert Doucet publie Les promesses du crépuscule.

Hubert Doucet

"Un regard historique fait voir que la médecine moderne était, dès son origine même, subordonnée à l'euthanasie. Ce sont les accidents de l'histoire qui en ont retardé la manifestation."

Voilà l'opinion du bioéthicien Hubert Doucet, dont le dernier livre, Les promesses du crépuscule, traite de l'euthanasie et de l'aide au suicide. Selon le spécialiste qui enseigne à la Faculté de médecine et à la Faculté de théologie, la médecine portait en elle les germes du développement des techniques d'interruption de la vie aussitôt qu'elle a commencé à être assez efficace pour prolonger significativement l'existence. De la même façon qu'on a cherché à combattre les maladies pour diminuer les souffrances, la mort médicalement assistée vise à mettre un terme à la vie d'une façon qui ne porte pas atteinte à la dignité humaine.

"Hippocrate était d'avis que le médecin devait s'abstenir quand la maladie était plus forte que la médecine. Francis Bacon a dit non. Il faut tout mettre en oeuvre pour prolonger la vie."

D'autres penseurs ont poussé plus loin la réflexion. Nietzsche a remis ce thème à l'honneur à la fin du siècle dernier. Mais avec le temps, on s'est demandé pourquoi on s'acharnait à prolonger la vie dans la déchéance et la douleur. On a donc cherché à mieux contrôler cette dernière, au point où la mort est devenue, dans certains cas, un effet secondaire de l'administration de médicaments comme la morphine.

La mort, un effet secondaire? Pourquoi pas, si le contrôle de la souffrance permet une fin de vie moins douloureuse? Il a été démontré que le contrôle de la douleur permettait même très souvent de prolonger les jours du malade.

Le spectre de la pente glissante inquiète pourtant l'auteur des Promesses du crépuscule. L'histoire nous a appris qu'eugénisme et euthanasie pouvaient s'associer naturellement. Cette menace a atteint un point culminant durant la Seconde Guerre mondiale. Or, souligne M. Doucet, "les atrocités nazies ont, depuis la fin de la guerre, habité la conscience médicale occidentale. Pendant près de 50 ans, elles ont servi à contrer l'implantation de politiques libéralisant l'euthanasie."

Mais cette crainte s'estompe même si l'Occident a commémoré le 50e anniversaire de la Shoah en 1995. "Nous sommes de retour à la case d'avant le nazisme", écrit l'auteur.

Légiférer?
Pour Hubert Doucet, le débat sur l'euthanasie n'est pas clos, même s'il ne défraie pas la chronique ces temps-ci. "Dans le grand public, les cas X ou Y soulèvent soudainement les passions, et le thème de l'euthanasie ou du suicide assisté disparaît quand la poussière retombe. Mais dans le milieu de la santé, cette question suscite un vif débat. Chaque jour, dans les unités de soins palliatifs ou d'oncologie, des familles demandent de mettre fin à la vie d'un proche, des mourants expriment leur désir d'en finir..."

Malgré cette réalité de nos hôpitaux, les médecins québécois qui ont publiquement pris position pour la décriminalisation de l'euthanasie se comptent sur les doigts d'une main. Le discours dominant des praticiens se résume à: "Nos patients veulent vivre, pas mourir!"

En tout cas, s'il faut humaniser la mort, la solution ne se trouve pas du côté des lois. "Légiférer ne donnerait rien, explique M. Doucet. L'euthanasie n'est pas un problème de droit. Une décriminalisation créerait un système bureaucratique qui ne favoriserait pas nécessairement des morts plus humaines."

Aux Pays-Bas, où la politique sur l'euthanasie est très libérale, trois médecins doivent intervenir dans le processus, signer des formulaires et répondre aux exigences gouvernementales. "Cette bureaucratisation va à l'encontre de tout le mouvement sur les soins palliatifs qui a vu le jour durant les années 1970 pour 'humaniser' la mort."

D'Ottawa à Montréal
Hubert Doucet trace un bilan positif de sa première année à titre de responsable du Diplôme d'études supérieures spécialisées en bioéthique, où il a pris la relève de Guy Durand. Chercheur respecté dans son domaine, il a quitté son poste à l'Université Saint-Paul, une école affiliée à l'Université d'Ottawa, pour joindre les rangs de l'Université de Montréal, où il partage son temps d'enseignement entre la Faculté de théologie et la Faculté de médecine.

Même si l'UdeM ne lui était pas étrangère (il a travaillé quatre ans au Centre de bioéthique de l'Institut de recherches cliniques de Montréal), il constate que sa connaissance du monde anglo-saxon est très précieuse. "Au Québec, les sources éthiques sont européennes et la pratique clinique est américaine. Les philosophes et les éthiciens lisent surtout les ouvrages européens alors que les médecins, souvent formés aux États-Unis, sont plutôt des abonnés du New England Journal of Medecine ou du Journal of American Medical Association..."

Le programme d'études dont il s'occupe, qui existe depuis 1992, réunit des médecins, philosophes, théologiens, infirmières et avocats autour des grands enjeux éthiques. Un projet de maîtrise en bioéthique (une première en milieu francophone) devrait bientôt voir le jour.

Jugeant que les débats éthiques passionnent de plus en plus les universitaires, les responsables du programme et l'Association des étudiants en bioéthique organiseront sous peu des "cafés de bioéthique" sur le modèle des cafés philosophiques, fort en vogue depuis quelques années.

Mathieu-Robert Sauvé

Hubert Doucet, Les promesses du crépuscule, Montréal, Labor et Fides, 168 pages, 32,95$.


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