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Les réfugiés au Canada: des professionnels et des universitaires condamnés à l'aide sociale

Les conditions inhumaines dans lesquelles se retrouvent les réfugiés nous font perdre de précieuses compétences professionnelles, démontre Jean Renaud.

Jean Renaud

"Les revendicateurs du statut de réfugié sont ici parce qu'ils réclament la protection humanitaire de l'État canadien en vertu de la convention de Genève. Mais les conditions du processus de régularisation sont telles qu'on se retrouve devant le paradoxe où des personnes admises ici pour des motifs humanitaires vivent une situation qui a quelque chose d'inhumain."

C'est la conclusion à laquelle arrive Jean Renaud, professeur au Département de sociologie et directeur du Centre d'études ethniques de l'Université de Montréal (CEETUM), après avoir analysé les conditions socio-économiques dans lesquelles vivent les revendicateurs du statut de réfugié au Québec.

Lenteurs administratives
Les lenteurs administratives seraient la première et la principale cause de leur difficulté d'insertion sociale. Lorsqu'un étranger arrive au Canada en demandant le statut de réfugié, il faut au moins de sept à neuf mois avant qu'une décision soit prise concernant son sort; c'est le temps nécessaire à l'examen du dossier, incluant l'enquête sur les motifs allégués à l'appui de sa revendication.

"Pendant cette période, les revendicateurs ont le droit de travailler, mais ils ne peuvent à peu près rien faire puisqu'ils ne savent pas ce qui va leur arriver, s'ils seront expulsés ou admis comme réfugiés", indique Jean Renaud. Pour la même raison, les employeurs sont loin de leur ouvrir toutes grandes leurs portes.

Une fois le statut de réfugié obtenu, il leur reste à régulariser leur situation par l'obtention d'un statut de résident permanent, ce qui prend au moins 13 mois supplémentaires. Au mieux, il faut calculer autour de 22 mois pour que la situation d'un réfugié se régularise. Des 407 réfugiés reconnus et interrogés pour l'étude du CEETUM, seulement la moitié avaient réussi à obtenir leur statut de résident trois ans après leur arrivée au pays.

Les médias viennent de nous révéler le cas d'un jeune Lituanien qui a dû attendre cinq ans avant d'obtenir son statut de réfugié, période suivie de deux autres années d'attente pour son statut de résident, avant d'apprendre que son dossier avait été égaré et qu'il fallait reprendre les procédures! Architecte de formation et inscrit à la maîtrise à l'Université de Montréal, le requérant a dû entamer une grève de la faim pour faire accélérer les démarches.

Des gens motivés et scolarisés
Les professionnels comme ce jeune architecte ne sont d'ailleurs pas rares parmi les requérants du statut de réfugié; 41% des hommes et 31% des femmes ont une scolarité de niveau universitaire à leur arrivée. Dans l'ensemble, 60% ont une formation postsecondaire, ce qui est supérieur à la moyenne montréalaise.

Les demandeurs montrent également une réelle volonté d'améliorer leur sort. Soixante-quinze pour cent s'inscrivent à des cours en attendant l'obtention de leur statut. À leur arrivée, 51% ignorent le français ou l'anglais, mais trois ans plus tard ils sont 85% à parler le français.

"Ce sont là des caractéristiques qui montrent que nous avons affaire à des gens motivés et de qualité, souligne le chercheur. Mais ils sont mis sur une voie de garage."

Ces gens doivent compter en moyenne deux ans avant de décrocher leur premier emploi, années pendant lesquelles 93% d'entre eux vivent de l'aide sociale. Les principaux secteurs à les accueillir sont l'industrie manufacturière et la restauration, où ils vont chercher un salaire hebdomadaire brut moyen de 285$.

"Lorsque vous avez un médecin qui se réfugie au Canada et qui est réduit à vivre de l'aide sociale ou à travailler dans une manufacture, c'est une catastrophe, commente Jean Renaud. Ces gens sont partis de leur pays en catastrophe pour assurer leur survie et ne se doutaient nullement des délais administratifs qui les attendaient."

Les réfugiés se retrouvent alors dans un cercle vicieux. "L'absence prolongée de statut est propice à la marginalisation, voire à l'exploitation, écrit le chercheur dans son rapport. Elle est aussi susceptible de faire accepter aux revendicateurs des emplois ne correspondant nullement à leurs compétences et d'effacer, de ce fait, leurs expériences et acquis aux yeux des employeurs canadiens."

Cette étude quantitative est venue confirmer une étude qualitative effectuée par Christopher McAll quelques années auparavant et indiquant que les réfugiés formaient une sous-catégorie à la marge inférieure de la population la plus marginalisée. "Les fonctionnaires croyaient que tout était beau une fois le statut de réfugié obtenu, ajoute Jean Renaud. Cette recherche vient de créer un émoi dans leur milieu."

Le chercheur présentera plus en détail les résultats de sa recherche dans le cadre des midis du CEETUM le vendredi 30 octobre (voir le calendrier).

Daniel Baril


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