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Les macaques choisissent la monarchie héréditaire

Le favoritisme politique permet de maintenir la hiérarchie.


Les papes n'ont pas inventé le népotisme. Bien avant eux, les macaques, ces petits singes d'Asie au long museau, ont érigé le favoritisme envers les apparentés au rang de système politique et les sujets de la souveraine, puisqu'il s'agit d'une société à dominance matrilinéaire, ne sont nullement portés à la rébellion.

"Les macaques ont un univers social binaire, explique Bernard Chapais, professeur au Département d'anthropologie. D'un côté, il y a ceux qu'ils peuvent agresser et, de l'autre, ceux à qui ils doivent se soumettre. Ce système est très stable parce que les macaques ne sont pas portés à prendre de risques et la hiérarchie se maintient par népotisme."

Depuis 15 ans, M. Chapais observe le comportement d'un groupe d'une quarantaine de macaques japonais au Laboratoire de primatologie, dont il est le directeur fondateur. Le 31 mars dernier, il était le conférencier invité à la Journée scientifique des étudiants du Département de biologie, où il a livré un aperçu de la structure de pouvoir et du favoritisme chez ces primates amateurs de bière et de philosophie du chaos.

 

De mère en fille

L'une des particularités de la société des macaques est sa structure à dominance matrilinéaire, ce qui veut dire que ce sont les femelles qui constituent le noyau du groupe alors que les mâles quittent le groupe à l'âge de la puberté. Et c'est là que le népotisme commence puisque, contrairement au mâle, la femelle sait qui sont ses enfants.

"En cas de conflit entre ses filles, la mère prend toujours la défense de la cadette parce que c'est elle qui a le plus besoin de protection, explique le professeur. Cette alliance fait que la plus jeune en vient à dominer ses soeurs aînées et cette dominance finira par être solidement établie au sein du groupe même en dehors de la présence de la mère."

L'effet politique de ce type de rapport mère-fille est que la place de la femelle dominante sera prise, à sa mort, par sa fille cadette. Les macaques prenant très peu de risques, cet ordre des choses est accepté par le groupe, contrairement aux sociétés à dominance mâle, où la place du dominant reviendra au plus fort. On pourrait donc, dans le cas des macaques, parler de monarchie héréditaire!

Bernard Chapais a voulu savoir jusqu'où pouvaient aller le favoritisme et la reconnaissance des apparentées dans cette société d'Amazones. Différentes expériences ont permis d'observer que les comportements de protection sont très forts entre soeurs, entre mère et fille, entre grand-mère et petite-fille, mais qu'ils ne vont pas jusqu'aux cousines ni aux nièces.

En isolant par exemple dans une pièce du Laboratoire trois jeunes femelles - A, B et C (l'ordre alphabétique indiquant un ordre de dominance) -, on s'aperçoit que l'ordre de dominance peut être renversé si l'on introduit la mère de la jeune femelle C dans le groupe. Cette mère protégera sa fille contre les agressions des dominantes A et B et, si l'expérience est prolongée pendant plusieurs jours, A et B finiront par se soumettre à C.

La même expérience faite avec la grande soeur et la grand-mère de C donne les mêmes résultats, alors que la nièce et la tante de C n'interviendront pas pour la défendre. Selon le primatologue, l'étendue de la reconnaissance des apparentées est proportionnelle au degré d'apparentement génétique: les apparentées proches ont intérêt à se protéger mutuellement ou à s'utiliser de façon opportuniste parce qu'elles ont un grand nombre de gènes en commun. Les limites de la famille macaque s'arrêtent ainsi à 25% de gènes en commun, soit au rang des grands-mères et des petites-filles; en bas de cette limite (au rang des nièces et des cousines), il ne vaut plus la peine de risquer une intervention dans un conflit.

"En plus de montrer jusqu'où va la reconnaissance des proches, ces expériences témoignent que l'intervention des apparentées joue un rôle dans la détermination du rang occupé dans le groupe", souligne Bernard Chapais. La monarchie héréditaire n'est donc pas à l'abri de toute menace.

 

Homosexualité et chicanes de famille

L'homosexualité, qui est courante chez les femelles macaques, est un autre indicateur de la reconnaissance de l'apparentement. Les primatologues ont observé qu'il n'y a jamais de relations homosexuelles entre mère et fille ni entre grand-mère et petite-fille chez les macaques. Par contre, ces relations sont fréquentes entre les tantes et les nièces. "L'homosexualité suit le même patron que celui de l'évitement de l'inceste", note le chercheur.

Si la mère et la fille font généralement alliance contre une menace extérieure, cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas de chicanes de famille. "Entre soeurs, la compétition est extrême", a observé Bernard Chapais.

Il peut également y avoir des alliances "interclasses", mais, dans de tels cas, elles se font toujours dans le sens du maintien du rang hiérarchique. Par exemple, une jeune femelle C pourra s'allier à une femelle B contre sa propre mère, mais elles ne se ligueront pas contre une femelle A.

"Le principe des alliances va toujours dans le sens de soutenir la dominante contre la dominée et non l'inverse, précise Bernard Chapais. Cette stratégie observée en laboratoire et corroborée par plusieurs années d'observation dans la nature permet à chacune de conserver son rang et d'éviter les alliances révolutionnaires."

Le népotisme entre apparentées lui paraît ainsi essentiel au maintien de la hiérarchie. À ses yeux, ce comportement ne relève pas d'un altruisme réciproque mais plutôt d'un égoïsme mutuel: celle qui en aide une autre se sert de cette dernière pour maintenir son rang de dominance.

Népotisme et dominance ne sont donc pas l'apanage des mâles de l'espèce humaine. Et peut-être un jour les macaques inventeront-ils les référendums.

Daniel Baril


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