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Portrait de famille avec gènes

Alain Gagnon étudie la transmission des caractères héréditaires en évaluant nos liens de parenté.

Les premiers temps de la colonisation, particulièrement de 1660 à 1680, ont donné aux Canadiens français des caractères génétiques encore bien présents aujourd'hui. C'est d'eux que proviennent directement les cas d'hypercholestérolémie, de tyrosinémie, d'ataxie spastique, d'atrésie intestinale, de dystrophie myotonique, etc., plus fréquents au Québec que partout ailleurs dans le monde.

"En fait, les 2600 hommes et femmes qui sont arrivés durant ces 20 années sont responsables des deux tiers de notre patrimoine génétique", explique Alain Gagnon, qui rédige actuellement une thèse sur l'évolution de la structure génétique du Québec ancien. La population a continué d'accueillir des immigrants jusqu'en 1760, moment de la Conquête, mais c'est comme si l'on avait soudainement fermé la porte à toute nouvelle intrusion. La population s'est alors reproduite en vase clos, comme dans un grand laboratoire à ciel ouvert. Aujourd'hui, on étudie les conséquences de cette fascinante consanguinité.

Mais attention: la population n'est pas aussi homogène que certains veulent bien le penser. On trouve bien sûr des niches de gènes délétères dans l'est du Québec, mais le centre et l'ouest sont comparables à l'ensemble des populations caucasiennes. En clair, il semblerait même que le génome des Canadiens français soit, dans l'ensemble, remarquablement diversifié.

Dans sa thèse de doctorat au Département de démographie, Alain Gagnon reprend en quelque sorte là où d'autres chercheurs ont laissé. Son défi: préciser le profil épidémiologique du Québec en utilisant une méthode permettant d'évaluer le coefficient de parenté. Lauréat du prix Bernard-Belleau 1997, offert par Biochem Pharma à un étudiant dont les travaux pourraient améliorer la compréhension des maladies héréditaires, il a passé trois mois au Laboratoire d'anthropologie biologique du Musée de l'homme, à Paris, l'automne dernier.

 

À Lotbinière comme au Saguenay

Si la grande incidence de maladies génétiques dans Charlevoix (d'où émigreront les fondateurs du Saguenay - Lac-Saint-Jean) et le Bas-Saint-Laurent trouve ici une confirmation, quelques surprises attendaient le chercheur.

"La région de Lotbinière s'est montrée très 'consanguine', explique Alain Gagnon. En fait, c'est la deuxième région la plus touchée par l'apparentement des conjoints. On s'en aperçoit quand on feuillette un annuaire téléphonique de la région; des patronymes peu différents qui couvrent des pages et des pages. Pourtant, on n'y étudie guère l'incidence des maladies héréditaires comme on le fait au Saguenay."

Le Québec n'est pas le seul endroit au monde où des mariages consanguins ont été célébrés. Dans certains groupes ethniques, le mariage entre cousins est considéré comme le fin du fin. D'ailleurs, ce type d'union n'était pas encouragé dans les villages québécois; au contraire, le curé exigeait une dispense si des cousins voulaient se marier; et chaque curé avait un quota annuel de dispenses accordées par le Vatican. Ce n'était donc pas par caprice ou par idéologie que les habitants se mariaient entre eux mais par manque de sang neuf... Pendant des décennies, les villages sont restés isolés les uns des autres.

Cela dit, ce type d'union entre cousins peut créer des problèmes sur les plans familial, local ou régional, mais n'a pas de conséquences notables sur une population. C'est la grande fréquence de mariages entre parents éloignés qui en a une. Mariages entre des personnes qui, souvent, ignoraient leur lien de parenté...

"Le type de liens consanguins que nous avons le plus trouvés, c'est entre personnes qui ont des arrière-grands-parents communs, relate le démographe. Cette accumulation de la parenté éloignée aura contribué à accroître le potentiel d'expression des tares héréditaires dans la population québécoise, mais sans homogénéiser substantiellement son bassin génétique."

 

Sans pipette ni microscope

Grâce aux actes de naissance, de mariage et de décès religieusement mis à jour par les autorités catholiques durant le 18e siècle, la plupart des habitants du Québec ancien ont au moins laissé une trace de leur passage ici-bas. On sait où ils sont nés, où ils se sont mariés (et avec qui) et où ils sont morts. S'appuyant sur ces données, le Programme de recherche en démographie historique a mis sur pied un fichier informatisé comprenant 400 000 naissances, autant de décès et quelque 70 000 mariages enregistrés avant 1800.

C'est cet outil unique au monde qu'Alain Gagnon a utilisé pour mener ses recherches. Dans un chapitre de livre à paraître prochainement, l'étudiant a écrit un texte sur l'"apparentement des conjoints par région au Québec ancien". Cette recherche constitue un "premier jalon dans l'étude de la stratification du bassin génétique québécois à ses origines. Il s'agissait de suivre de près cette trame ininterrompue de la multiplication et de l'enchevêtrement des liens de parenté au sein de la colonie [...] pouvant éclairer les données récentes de la biologie moléculaire."

Le jeune homme voit souvent des visages étonnés quand il informe ses interlocuteurs de la nature de ses travaux. "Je ne touche pas aux pipettes ni aux éprouvettes, dit-il. Mon but est de retracer les modes de transmission des caractères héréditaires selon les mariages dans une population donnée. Mais si cela peut servir aux généticiens, tant mieux."

Il en va de la génétique des populations comme de la théorie du big bang, dans laquelle les premières secondes sont plus importantes que les millénaires ultérieurs. Les 2600 pionniers arrivés entre 1608 et 1680 auront laissé plusieurs maladies à leurs descendants, près de quatre siècles plus tard. Mais ils sont également à l'origine d'une bonne partie de leurs qualités...

Mathieu-Robert Sauvé


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