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Jean-Paul II, pape écolo

Conservateur sur plusieurs questions, le pape serait progressiste quant à l'environnement.

 Jean-Guy Vaillancourt


Et Dieu dit: "Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre." (Gn, 1, 28)

On connaît la suite de l'histoire: Dieu trouva que tout ce qu'il avait fait était bien et il alla se reposer. Six mille ans plus tard, le constat d'une telle attitude à l'égard de la nature est si catastrophique qu'on craint même pour la survie de la créature protégée de Dieu.

Si les croyances judéo-chrétiennes ont marqué la pensée occidentale, celle présentant la nature comme étant créée pour le bien-être de l'être humain trônant au sommet de la pyramide a-t-elle conduit à un comportement anti-écologique? La question a fait l'objet du numéro d'automne de la revue Social Compass, numéro dirigé par Jean-Guy Vaillancourt, professeur de sociologie des religions et de sociologie de l'environnement, et par Louise Cousineau, de l'Université du Massachusetts.

Dans l'article qu'il signe, Jean-Guy Vaillancourt montre que l'Église catholique, notamment sous le règne de Jean-Paul II, a plutôt interprété la prescription du dieu biblique comme un devoir d'intendance plutôt que comme une permission illimitée d'exploiter.

Jean-Paul II écrivait d'ailleurs en 1991 qu'"on ne peut impunément faire usage des diverses catégories d'êtres, vivants ou inanimés - animaux, plantes, éléments naturels -, comme on le veut, en fonction de ses propres besoins économiques". Juxtaposée à la citation de la Genèse, cette déclaration apparaît comme un virage à 180 degrés. Galilée a risqué le bûcher pour moins que cela.

 

Développement durable

Et ce n'était pas une première. L'inventaire des textes signés de Jean-Paul II montre que, entre 1979 et 1983, 28 de ces textes ont porté sur l'environnement; il y en a eu 39 entre 1984 et 1988 et 65 autres entre 1989 et 1992. Selon Jean-Guy Vaillancourt, la tendance s'est accélérée depuis.

"C'est au moment où le développement durable, avec le rapport Brundtland de 1987, et les problèmes environnementaux globaux deviennent importants dans la conscience mondiale que Jean-Paul II s'active dans le domaine de l'environnement et multiplie les références pertinentes à ce domaine", écrit Jean-Guy Vaillancourt. Jean-Paul II a d'ailleurs repris la notion de développement durable pour la rebaptiser "développement humain authentique".

Difficile de s'empêcher d'y voir la récupération d'un courant à la mode, d'autant plus que le pape et son Église n'interviennent qu'après la prise de conscience collective. "Il est vrai que les interventions de Jean-Paul II ne précèdent pas le mouvement écologiste, mais elles ne suivent pas de très loin, répond à cela le sociologue. L'Église a fait mieux cette fois qu'avec Galilée et Darwin."

Pour le professeur, le message de l'Église catholique évolue avec les circonstances et est, de ce fait, beaucoup plus complexe que ce qu'on pourrait croire. Jean-Paul II est lui-même "un être très complexe". "Marqué par le stalinisme, il a peur du marxisme et prend des positions de droite en condamnant la théologie de la libération, estime Jean-Guy Vaillancourt. Il a des positions moyenâgeuses sur les femmes, ses nominations épiscopales sont conservatrices, il a mis à l'écart les ordres religieux progressistes comme les Jésuites et les Franciscains et a accordé des faveurs à l'Opus Dei."

Par contre, il accuse, en tant que responsables de la destruction de l'environnement, "la mauvaise répartition des terres, l'endettement international, la croissance industrielle, la concentration urbaine, la surconsommation d'énergies fossiles, l'utilisation de certains pesticides, l'usage d'agents de refroidissement et de propulsion, la déforestation, la surabondance des déchets, l'hédonisme et la surconsommation des riches, et la guerre 'qui dégrade la terre, les récoltes et la végétation en empoisonnant les sols et les eaux'."

 

Un pape progressiste

De ce point de vue, Jean-Paul II apparaît comme un environnementaliste aux yeux du sociologue. L'environnementalisme, ou encore le conservationnisme, autorise une exploitation contrôlée de la nature dans le sens du développement durable; il se distingue du préservationnisme ou écocentrisme (deep ecology), qui place tous les êtres vivants, de la bactérie à la baleine, sur un même pied.

Selon Jean-Guy Vaillancourt, cette dernière attitude, par ses effets néfastes sur la condition humaine, "est une idéologie foncièrement conservatrice". Jean-Paul II se situe alors du côté des progressistes.

"Quand on considère la position des féministes, des tiers-mondistes et des écologistes, qui affirment que la racine des problèmes environnementaux n'est pas la croissance démographique mais la surconsommation et la pollution de la part des riches et le partage inégal des ressources, on se rend compte que la position du pape n'est pas très éloignée de la leur et n'est pas aussi réactionnaire que certains voudraient le faire croire."

Mais Jean-Paul II se démarque de ses camarades de gauche en maintenant sa position fondamentale voulant que la planète ait été mise à la disposition des humains par le Créateur pour qu'ils s'en servent afin d'assurer leur développement intégral et en refusant la contraception comme moyen de contrer la surpopulation.

Et malgré les positions progressistes du pape actuel, Jean-Guy Vaillancourt note qu'il y a refus de la part de l'Église de mettre les préoccupations environnementalistes au sommet de l'ordre du jour. Lié aux autres positions conservatrices du pape, ceci amène le professeur à conclure que Jean-Paul II "n'est pas un nouveau Jean XXIII ni un nouveau Paul VI, mais un continuateur de l'oeuvre centriste de Léon XIII et de Pie XII. Il aurait probablement dû s'appeler Léon-Pie 1er plutôt que Jean-Paul II."

Quant à l'effet des messages pro- ou anti-environnement véhiculés par les religions, il serait plutôt mince et n'aurait que "peu ou pas d'impact" sur les politiques environnementalistes. En 1967, l'historienne de la culture Lynn White publiait un article-choc dénonçant le rôle de la tradition judéo-chrétienne dans les comportements anti-écologistes de l'Occident. Cette thèse est remise en question dans un autre article du numéro d'automne de Social Compass, article basé sur les données d'un sondage effectué dans 18 pays différents.

Daniel Baril


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