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La «taxe Tobin» pour soutenir
les programmes sociaux

Une proposition de Jean-Guy Loranger pour contrer la «pensée unique» en économie.

Jean-Guy Loranger

Il n'y a pas 50 façons pour l'État d'atteindre le déficit zéro et de payer sa dette: réduire ses dépenses et augmenter ses revenus. Lorsque la classe moyenne est surtaxée et que les impôts des compagnies sont réduits pour éviter la fuite des capitaux et des cerveaux, il ne reste qu'à démanteler les programmes sociaux... ou à chercher des revenus là où est l'argent.

Jean-Guy Loranger, professeur au Département de sciences économiques, penche plutôt pour la deuxième solution. "Le secteur financier est le secteur qui connaît la plus grande croissance et c'est le seul secteur non taxé, souligne-t-il. Avec une politique de taux d'intérêt supérieur au taux de croissance, ce secteur progresse à un rythme de deux à trois fois supérieur à celui de la moyenne. Pourquoi un tel état de choses?"

Le professeur Loranger serait favorable à l'établissement d'un contrôle à l'échelle mondiale sur les transactions financières et les spéculations sur les taux de change, une position qu'il exprimait au colloque "Contre les intégrismes" organisé au début du mois par le groupe Alternatives, une ONG où il est engagé.

"Jamais le développement économique n'a pu se faire sans mécanismes de contrôle, affirme-t-il. La Russie est le plus bel exemple montrant que l'absence de régulation dans une économie de marché donne une économie de banditisme où vivent côte à côte une poignée de milliardaires et une masse de miséreux. Ceux qui croient que les forces du marché économique laissées à elles-mêmes sont convergentes et mènent à un équilibre harmonieux oublient les leçons du passé. Au début du siècle, le laisser-faire économique a conduit à la crise des années 1930 et il a fallu un État plus interventionniste pour rétablir un équilibre. Pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci?"

 

La taxe Tobin

Selon Jean-Guy Loranger, nous avons le choix entre vivre des récessions à répétition ou brider le capital financier. La solution dont il est le défenseur a été formulée en 1978 par l'économiste James Tobin, de l'Université Yale, Prix Nobel d'économie 1981.

M. Tobin proposait à cette époque d'imposer une taxe de 1% sur toutes les transactions financières et les taux de change afin de limiter la spéculation sur les monnaies et du même coup la volatilité des taux de change.

Étant donné le volume actuel de transactions à l'échelle internationale - estimé à 10,000 milliards de dollars par jour -, une telle taxe rapporterait aux gouvernements 36,500 milliards par année! Aucun PIB ne pouvant fournir un tel montant, Jean-Guy Loranger propose de limiter la "taxe Tobin" à 0,1% ou 0,01% de la valeur transigée.

"Cela nécessite un consensus à l'échelle planétaire, reconnaît-il, mais si les gouvernements ont permis la déréglementation, ils peuvent aussi établir des contrôles." Selon l'économiste, les États-Unis n'auront eux-mêmes plus le choix d'aller dans ce sens lorsqu'ils commenceront à trouver que le sauvetage des économies en chute coûte trop cher.

Un exemple qu'on est déjà en train d'oublier: la crise du peso mexicain en 1995. Pour Jean-Guy Loranger, cette crise a été provoquée par les financiers mexicains, américains et internationaux qui ont spéculé sur les bons du Trésor mexicain à la faveur de taux d'intérêt élevés à court terme et de promesses de développement économique. Ils se sont retirés aussitôt devant le peu de fiabilité de ce marché.

"C'est à leur demande que Bill Clinton et le FMI ont insufflé en catastrophe 50 milliards de dollars pour soutenir le peso. Pourquoi les citoyens du Mexique, des États-Unis et de tous les pays membres du FMI devraient-ils payer pour cette crise alors que ce sont les spéculateurs qui devraient encaisser les pertes? C'est le coup classique de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes."

 

Programmes sociaux

Pour Jean-Guy Loranger, le recours à une taxe Tobin atteindrait deux objectifs. En plus de réguler le marché de la spéculation, une telle taxe fournirait des revenus à l'État, qui devrait les utiliser pour maintenir et accroître les programmes sociaux.

"Les États-Unis, vaisseau amiral du néolibéralisme, est le pays où l'accroissement des inégalités sociales a été le plus grand au cours des dernières années, dit-il. Le déficit de justice sociale ne peut que croître jusqu'au jour où la paix sociale sera sérieusement menacée par l'appauvrissement des classes moyennes. Même les études de l'OCDE commencent à se préoccuper de ce problème."

Si certaines transactions ne peuvent être contrôlées qu'à l'échelle mondiale, cela n'empêche pas, à son avis, un contrôle de ce type à l'échelon d'un pays ou d'une province. "Si les gouvernements ont cru utile d'étendre la TPS à un bon nombre de services, pourquoi ne pas inclure les services des établissements financiers qui font leur pain et leur beurre de nos épargnes et de notre capacité d'endettement? Les banques ne partiront pas d'ici puisqu'une partie de leur marché vient de nos épargnes. N'importe quel courtier vous dira qu'une telle taxe ne ferait varier que très marginalement le coût des transactions effectuées par ceux qui gèrent les fonds mutuels tout en rapportant des sommes substantielles."

Si la taxe Tobin n'est pas prise au sérieux dans les milieux économiques et politiques, ce n'est pas parce qu'elle serait inapplicable, mais parce que cette idée va à l'encontre de "l'idéologie néolibérale intégriste qui fait de la libre circulation des capitaux un dogme". Et si nos gouvernements n'ont pas encore oser aller dans ce sens, c'est à la fois par manque de volonté politique et par faiblesse de l'opinion publique. C'est aussi parce que, accablés par un discours défaitiste, nous manquons d'utopie.

"La croyance utopique en la justice est nécessaire, tant pour l'individu que pour une société, pour se sortir de la torpeur et du fatalisme dans lesquels nous enferment la pensée unique et son discours intégriste, conclut le professeur. Il faut croire que le combat est possible pour pouvoir l'engager."

Daniel Baril


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