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L'avenir du syndicalisme passe par un retour en arrière

Pour percer le marché des services privés, les syndicats devront revenir aux pratiques du début du siècle.

Syndiquer les employés de dépanneurs? Oui si les syndicats réussissent à répondre à leurs besoins sociaux.

Le virage du partenariat, pris par le mouvement syndical afin d'avoir un accès partiel à la gestion des entreprises, "ne peut servir qu'à sauver les meubles", estime Jean-Guy Bergeron, professeur à l'École de relations industrielles.

Avec son collègue Reynald Bourque, il publiait au printemps dernier une analyse1 du phénomène des "contrats sociaux" conclus entre syndicats et employeurs et dont le but premier est de protéger les emplois en assurant la paix industrielle par une absence de grèves et de lock-out pour des périodes variant de quatre à neuf ans.

Ce type d'entente, favorisé par les lois québécoises et engageant parfois le gouvernement lui-même, serait unique en Amérique du Nord, selon les auteurs. "Mais si les syndicats veulent assurer leur avenir, ils doivent modifier radicalement leur façon de faire et même retourner aux méthodes artisanales du début du siècle, estime Jean-Guy Bergeron, lui même ex-conseiller à la CSN. Le syndicalisme est devenu un luxe, ajoute-t-il. Les syndicats doivent abandonner leur Cadillac et se porter à la défense des travailleurs précaires qui ont besoin d'organisation."

Comme l'agrément sectoriel n'est pas permis par la loi et puisque la syndicalisation des "précaires" ne peut leur apporter un meilleur salaire à brève échéance, les syndicats ne pourront gagner la faveur de ces travailleurs qu'en prenant en charge leurs besoins globaux de travailleurs et de citoyens.

Jean-Guy Bergeron s'appuie en cela sur une étude d'une de ses ex-étudiantes à la maîtrise, Christine O'Neil, qui a montré que les syndicats doivent pouvoir répondre aux besoins sociaux des travailleurs précaires pour avoir auprès d'eux un pouvoir d'attraction.

"Les travailleurs [à temps partiel] perçoivent que les syndicats ne se préoccupent pas de leurs besoins", concluait l'étudiante à la suite de son enquête. Elle a cherché plus précisément à mesurer l'impact d'activités autres que le travail rémunéré sur le désir d'adhérer ou non à un syndicat.

"Notre hypothèse était qu'il peut exister un lien négatif entre les activités à l'extérieur du travail et le désir de se syndiquer, avançait-elle. De plus, il nous semblait que les travailleurs voudraient se syndiquer dans la mesure où les syndicats seraient perçus comme un instrument pour améliorer leurs conditions de travail."

Son étude auprès de travailleurs à temps partiel au service de petits commerces de détail a montré que, même si ces employés sont insatisfaits de leurs conditions de travail, cette insatisfaction ne les incite pas nécessairement à vouloir se syndiquer. Les hommes seraient prêts à le faire dans la mesure où la syndicalisation leur assurerait plus d'heures de travail alors que les femmes en feraient autant si la syndicalisation pouvait atténuer le conflit travail-famille. "Majoritairement, les femmes ayant des enfants ne sont pas d'avis que les syndicats ont ce pouvoir", a constaté Christine O'Neil.

Pour percer dans le secteur des services privés, les syndicats doivent donc démontrer leur utilité en offrant des solutions aux problèmes tels que l'employabilité, le gardiennage ou les assurances collectives. "On ne peut syndiquer les employés de boutiques en leur faisant miroiter un meilleur salaire pour demain matin, déclare Jean-Guy Bergeron. Il faut revenir aux méthodes des syndicats de métiers qui se sont développés sans autre point de référence que la seule entraide." Ce n'est qu'au prix de cet effort, estime le professeur, que le syndicalisme pourra gagner la légitimité nécessaire pour obtenir l'agrément sectoriel.

À l'instar du travail de son étudiante, les recherches de Jean-Guy Bergeron ont aussi mis en évidence le problème d'image que les syndicats peuvent avoir auprès des travailleurs non syndiqués. Une étude qu'il effectuait à Montréal et à Toronto il y a trois ans a montré que les travailleurs non syndiqués seraient favorables à la syndicalisation dans une proportion de 40%; ce taux monte à 70% lorsqu'on leur propose une "association d'employés"!

Pour les travailleurs concernés, le principal rôle d'une telle association serait d'assurer la formation professionnelle et le placement. Viennent ensuite toutes les autres fonctions assumées par un syndicat, comme la négociation des conditions de travail.

"Ces travailleurs souhaitent donc une organisation qui remplisse le rôle d'un syndicat et qui s'occupe en plus de l'employabilité comme le permettaient les syndicats de métiers au début du siècle", conclut Jean-Guy Bergeron.

Daniel Baril

 

1. Les changements en milieu de travail au Québec: politiques gouvernementales et réponses syndicales, collection Tiré-à-part de l'École de relations industrielles, no 126, 1997.


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