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Agressions sexuelles:
la haine n'est pas le seul motif

Une étude du Département de psychologie et du CICC tente
de préciser les divers portraits des agresseurs sexuels.


On a trop généralisé le motif de la haine dans les agressions sexuelles, estime Luc Granger, professeur au Département de psychologie. Les choses ne sont pas si simples.»

Il effectue depuis deux ans, avec deux collègues du Centre international de criminologie comparée (CICC) - Jean Proulx et Marc Ouimet, également professeurs à l'École de criminologie -, une étude auprès de 225 agresseurs sexuels afin de préciser leurs profils psychosociaux, leurs motifs et le taux de récidive.

L'étude s'étendra encore sur une dizaine d'années, mais quelques données commencent à émerger, ébranlant ainsi la croyance voulant que l'agresseur agisse surtout par haine des femmes. «Certains agresseurs sont motivés par le plaisir sexuel, affirme le professeur. Ils n'utilisent que la force nécessaire pour contraindre la femme à une relation sexuelle et n'iront pas au-delà comme le font des psychopathes, qui vont jusqu'à tuer et dépecer leurs victimes.»

Différents motifs

C'est surtout dans les cas d'agressions à l'endroit d'inconnues que la motivation liée au plaisir sexuel intervient; mais ce ne sont là que 20 % des cas d'agressions recensés à partir des données carcérales. Ce motif joue également lorsqu'il s'agit d'acte de pédophilie sur des enfants inconnus alors que l'agresseur utilisera la séduction plutôt que la violence physique.

«Lorsque la victime est une femme adulte connue de l'agresseur, il agira davantage par rage, sera plus violent, recourra à l'humiliation et l'agression sera répétitive», observe Luc Granger.

Il existe aussi ce que les spécialistes appellent le «violeur opportuniste». Un voleur, par exemple, peut devenir violeur sans préméditation, uniquement parce que les circonstances lui donnent l'occasion d'exploiter davantage sa victime.

Et pourquoi les violeurs plus motivés par le plaisir ne recourent-ils pas à des services spécialisés? «Le plaisir du chasseur qui attend sa proie et le désir de puissance sont aussi présents», répond le psychologue. Les distinctions à établir dans les motivations ne sont donc pas à trancher au couteau et il est rare qu'un crime sexuel soit exclusivement motivé par la violence ou par le plaisir; une combinaison des deux est généralement observable.

De plus, il est faux de penser que les agresseurs sont plus excitables que la moyenne des hommes. «Ils ne sont pas plus portés sur le sexe que l'homme normal. Les tenues que l'on pourrait qualifier de provocantes n'entrent pas non plus en jeu. Si elles peuvent susciter l'excitation chez tout mâle normalement constitué, tous ne passent pas à l'acte et l'agression ne peut être considérée comme un réflexe. Si une composante génétique peut entrer en ligne de compte dans le cas de l'homosexualité, rien de tel n'a été démontré pour la pédophilie ou pour le viol.»

L'idée que les agresseurs auraient eux-mêmes été victimes d'agressions est elle aussi surestimée. Dans le cas de la pédophilie, où cet argument est souvent invoqué, au moins la moitié des agresseurs n'ont pas été abusés dans leur jeunesse, alors que tous les abusés ne deviennent pas agresseurs.

Mieux intervenir

Même si un crime demeure un crime, Luc Granger croit qu'il faut établir les distinctions qui s'imposent entre les différents agresseurs, ne serait-ce que pour mieux orienter les thérapies.

Selon la loi, tout acte sexuel non consentant, avec ou sans violence physique, est défini comme une agression. Cela inclut donc le «mononcle» qui fait faire du «p'tit galop» de façon un peu trop insistante à sa nièce, l'exhibitionniste dans sa voiture et le boucher qui dépèce ses victimes.

«Il n'est pas très utile de mettre tout le monde dans le même panier. J'ai eu dans un même groupe de thérapie un pédophile qui payait de jeunes adolescents avec des joints et un violeur qui éventrait les femmes avec des tessons de bouteille. Ils n'ont pas besoin de la même thérapie», souligne-t-il pour insister sur la nécessité d'un classement pertinent.

La classification actuelle ne paraît d'ailleurs pertinente que pour 50 % des crimes à caractère sexuel. Pour raffiner la typologie, les chercheurs ont élaboré une grille d'analyse tenant compte du plus de facteurs possible: l'âge, les antécédents, le milieu socio-économique, le lieu de résidence, le mode d'opération, le type d'arme utilisée, le profil des victimes, les variables émotionnelles, etc. «C'est la première fois qu'une telle étude tient compte d'autant de variables», soutient M. Granger.

Récidive et castration

En plus de guider les interventions thérapeutiques, l'étude vise également à améliorer la prédiction du taux de récidive. Pour l'ensemble des crimes sexuels, la récidive est de 28 % alors qu'elle est de 50 % pour le vol et se situe autour de 35 % pour l'ensemble de la criminalité toutes catégories confondues. Les différentes méthodes thérapeutiques font baisser le taux de récidive à 20 % chez les agresseurs sexuels.

Devant certains crimes particulièrement répugnants, comme le cas Bernardo ou l'affaire Dutroux, de plus en plus de gens se disent en faveur de la castration comme méthode, plutôt radicale, de thérapie. «Si la castration chimique diminue la motivation, elle n'enlève pas la capacité d'une relation sexuelle et le taux de récidive est le même qu'avec les autres méthodes, affirme Luc Granger. De plus, elle peut entraîner plusieurs complications comme une perte de poids, des problèmes rénaux ou une déficience immunitaire.»

La méthode peut aussi être pernicieuse: «Lorsque l'impulsion diminue, l'agresseur se pense guéri et cesse le traitement. Le désir revient et, comme il n'a pas appris à se contrôler, il récidive.»

La castration physique présente les mêmes limites; la personne conserve son pénis et la capacité d'avoir une relation sexuelle.

Finalement, Luc Granger ne croit pas que le nombre de crimes sexuels soit en progression. Considérant le degré de sensibilisation sur la question, il serait plutôt enclin à croire que ce type de crimes est en diminution. L'impression d'augmentation serait due, à son avis, au fait que l'on a changé les définitions - un mari peut maintenant être accusé de viol sur sa femme - et que la population est moins tolérante.

Daniel Baril


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