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Pour un accord
de libre-échange intellectuel!

Nombreux obstacles sur le chemin de l'interdisciplinarité.

L'Université de Montréal compte 13 facultés et quelque 80 départements et écoles qui tiennent à leur identité. Comment passer de la parole aux actes quand on parle d'interdisciplinarité? C'est la question que se sont posée trois conférenciers au cours d'une rencontre organisée par le vice-rectorat à l'enseignement le 16 avril dernier.

«Durant les états généraux sur l'éducation, les étudiants ont parlé de la surspécialisation de leur formation, mais je peux vous dire que l'unanimité n'était pas acquise sur cette question, signale Céline Saint-Pierre, présidente du Conseil supérieur de l'éducation. Oui, des programmes sont trop spécialisés, mais c'est surtout la grande insécurité face à leur insertion professionnelle qui inquiète les étudiants.»

Selon elle, il faut redéfinir la finalité des études de premier cycle, et la polyvalence devrait être un critère. Cependant, plusieurs obstacles s'opposent à l'interdisciplinarité. D'abord, les professeurs eux-mêmes sont très spécialisés. Depuis toujours, un bon universitaire est un savant reconnu dans un secteur parfois très pointu. De plus, les cours magistraux qu'ils donnent ne constituent peut-être pas la meilleure façon de mettre à profit les autres matières.

Ensuite, la structure même des universités fait problème. La décentralisation des pouvoirs vers les départements, aujourd'hui jalousement protégée, ne se prête guère au libre-échange intellectuel. Enfin, le financement des unités ne favorise pas cet idéal.

Les cégeps, selon elle, présentent d'intéressantes expériences, particulièrement depuis la réforme du niveau collégial. «On y est résolument interdisciplinaire, dit Mme Saint-Pierre. Vous le verrez bientôt, car les premiers étudiants issus de cette réforme arriveront dès septembre à l'université.»

Un historien en sociologie

À une époque où ce n'était guère à la mode, René Durocher a «joyeusement transgressé les tabous» et suivi un cours de sociologie, alors qu'il étudiait en histoire. «C'était un peu intimidant d'être un historien parmi des sociologues. Mais c'était très formateur.»

Aujourd'hui, des étudiants s'inscrivent régulièrement à des cours «hors programmes», et la création de facultés telles la Faculté des arts et des sciences (FAS) et la Faculté des études supérieures visait d'ailleurs à simplifier ces échanges. Mais l'Université de Montréal demeure «très départementalisée», dit M. Durocher.

Faut-il détruire les départements, comme le suggérait un avis du Conseil supérieur de l'éducation en 1995? «Je ne le crois pas, répond l'ancien vice-doyen de la FAS aujourd'hui directeur du Bureau de la recherche. Mais il faut encadrer leurs pouvoirs.»

En recherche, l'interdisciplinarité est selon lui un peu plus entrée dans les moeurs. On compte sur le campus (incluant les écoles affiliées) quelque 160 groupes et centres de recherche en dehors des départements qui attirent des étudiants de différentes disciplines. On peut nommer le Centre d'études de l'Asie de l'Est, le Centre de recherche sur les transports, etc. «C'est là que se vit l'interdisciplinarité!»

Mais si le critère d'interdisciplinarité ne nuit pas quand on fait une demande de financement pour une recherche (on peut même dire que ça aide), il n'en va pas ainsi de l'enseignement. «On ne fait pas d'économies en enseignement avec l'interdisciplinarité, prévient M. Durocher. Il faut s'attendre à ce que cela soit plus coûteux. Dans un contexte comme celui que nous connaissons, il vaut mieux le savoir...»

Le mythe de Sisyphe

«Avant d'être interdisciplinaire, il faut avoir une spécialité, poursuit Louis Maheu, doyen de la Faculté des études supérieures. Durant une carrière universitaire sont reconnus ceux qui obtiennent des évaluations positives par les pairs, des promotions, des subventions, publient dans des revues importantes. Ces critères comptent.»

Évidemment, selon lui, l'interdisciplinarité est souhaitable. Il faut donc «assouplir les structures là où c'est possible», mais une université comptant de nombreux spécialistes peut malgré tout être avantagée dans un contexte de compressions budgétaires. «Quand on parle d'interdisciplinarité, je repense au mythe de Sisyphe. On a l'impression de remonter sa roche chaque fois que le sujet revient à la mode. Il ne faut pas glisser dans la morosité.»

L'évolution de la science, a rappelé M. Maheu, doit beaucoup à la «disciplinarisation» des domaines d'études... L'interdisciplinarité vient parfois de soi. «Il y a plus de sociologues un peu partout à l'Université de Montréal qu'à l'intérieur du Département de sociologie. C'est probablement la même chose ailleurs», dit le doyen, lui-même sociologue.

Selon la vice-rectrice à l'enseignement, Irène Cinq-Mars, organisatrice de la rencontre, on a senti dès 1987 l'importance de se soucier de l'employabilité des diplômés, et la polyvalence de la formation apparaissait dès lors comme un enjeu majeur.

«L'esprit et la lettre de la politique mise en oeuvre à ce moment-là sont toujours d'actualité», a dit la vice-rectrice dans son discours d'ouverture. Une centaine de professeurs s'étaient rendus au Pavillon principal pour célébrer la Journée de l'enseignement.

Mathieu-Robert Sauvé


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