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À quoi servent les historiens?

La formation de premier cycle doit éviter la spécialisation.

La formation en histoire a-t-elle encore une pertinence dans notre société utilitariste? Faut-il modifier cette formation pour l'adapter aux besoins du marché du travail? Bref, à quoi sert un historien?

Ces questions étaient au centre d'un débat organisé par le Département d'histoire dans le cadre des activités de son cinquantième anniversaire. L'un des conférenciers, René Durocher, directeur du Bureau de la recherche et ex-directeur du Département d'histoire, a insisté sur le rôle social de l'historien.

«Priver un peuple de la connaissance de son histoire, c'est rendre son présent inintelligible, a-t-il soutenu. À défaut d'histoire, la mémoire collective se réfugiera dans le mythe et l'ignorance.» Pire encore, un peuple privé de son histoire deviendrait «amnésique, sans identité et incapable de définir son avenir librement et démocratiquement. L'histoire est une école de démocratie permettant de former des citoyens éclairés et responsables.»

On pourrait penser que l'historien s'est ici laissé emporter par la passion de son sujet dont il a présenté une vision idéalisée bien pardonnable. Pourtant, le Brésil du temps des colonels semble lui donner raison par la négative. Tania Navarro-Swain, historienne à l'Université de Brasilia, a relaté comment les intellectuels et plus particulièrement les historiens furent la cible de la répression sous la dictature militaire.

«Il y a eu la répression directe, avec les emprisonnements et les assassinats, et la répression indirecte par laquelle on a modifié la formation en histoire dans les écoles. Ces attaques contre l'histoire visaient à contrer l'esprit critique. Le résultat est que les jeunes sont ignorants de l'histoire de leur pays. Faire de l'histoire, a-t-elle déclaré, c'est faire de la politique.»

Trop ou trop peu?

L'enseignement de l'histoire a donc une lourde responsabilité sur le dos et la formation donnée aux historiens ou aux enseignants devient d'autant plus importante. Sur ce point, René Durocher a déploré ce qu'il considère comme deux extrêmes: la trop grande spécialisation donnée aux étudiants de premier cycle et la trop faible formation en histoire donnée aux futurs enseignants.

Ceux qui optent pour le baccalauréat spécialisé en histoire peuvent obtenir 80 crédits en histoire sur un maximum de 90. «Ça ne va pas, affirme M. Durocher. Aux États-Unis, le maximum de crédits disciplinaires est de 54 sur 90.» Il privilégierait plutôt une formation générale de type liberal arts avec un début de spécialisation. Le premier cycle devrait servir à «apprendre à penser, à développer son esprit critique, à faire une recherche, à résoudre des problèmes, à traiter de l'information en l'analysant et la synthétisant, à s'exprimer oralement et par écrit».

Quant aux étudiants qui optent pour l'enseignement de l'histoire au secondaire, ils ne pourront obtenir que 45 crédits dans cette discipline à l'intérieur d'un baccalauréat de 120 crédits. Et si l'histoire n'était que le deuxième choix des matières à enseigner, la formation de ces futurs enseignants ne compterait que 15 crédits dans cette discipline, c'est-à-dire trois cours.

«Il faut plus qu'une première année d'université pour maîtriser la méthode historique, déclare René Durocher. Il importe d'abord de posséder une discipline avant d'essayer de la transmettre.»

Claude Morin, professeur au Département d'histoire, a abondé dans le même sens que René Durocher en mettant l'auditoire en garde contre la trop grande spécialisation au premier cycle. À son avis, la spécialisation ne conviendrait qu'à une minorité qui se dirigerait vers les études aux cycles supérieurs plutôt que vers le marché du travail. «Il serait préférable d'opter pour un majeur en histoire associé à un mineur dans une autre discipline, croit-il. De cette façon, l'étudiant ajouterait une corde à son arc», ce qui ne peut être qu'un atout pour le monde du travail.

Jean-Claude Robert, président de la Société historique du Canada, a apporté un bémol à cette vision des choses présentée par ses collègues. «S'il faut encourager la pluridisciplinarité, il faut aussi se méfier du discours visant à "universifier" les formations. Il faut éviter de vider la formation de sa substance.»

Quelle que soit l'orientation à donner à la formation universitaire, tous s'entendent pour déplorer la faible importance accordée à l'enseignement de l'histoire dans notre système scolaire. Si l'on ne peut prêter à nos dirigeants politiques les mêmes intentions qu'avaient les ex-dictateurs brésiliens, on s'étonne de constater qu'il n'y a que deux cours d'histoire au secondaire; un premier cours en deuxième secondaire fait le tour de l'histoire mondiale en 90 heures et l'autre, en quatrième secondaire, est consacré à l'histoire du Canada et du Québec. Un peuple sans histoire, disait Durham...

Histoire du Département

Dans le cadre des activités marquant son cinquantième anniversaire, le Département d'histoire tient, jusqu'au 22 avril, une exposition de documents historiques et d'objets muséologiques à la Galerie du SAC (Bibliothèque des lettres et des sciences humaines).

Des montages faits de couvertures de volumes publiés au cours de ces 50 ans d'enseignement relatent les cinq grandes étapes du Département.

On y apprend que le Département portait, en 1947, le nom d'Institut d'histoire. L'Institut a donné naissance, au début des années 1950, à ce que l'on a appelé l'«École de Montréal», un courant néonationaliste qui a supplanté l'orthodoxie cléricale de Lionel Groulx. L'Institut est devenu Département en 1962.

Puis ce fut la période dite de «consolidation», de 1973 à 1984, où ont été réorganisés les programmes d'enseignement. Cette période a également vu la naissance du Centre de documentation, considéré maintenant comme indispensable pour les étudiants. Le Centre est aujourd'hui menacé de fermeture puisqu'il doit perdre son documentaliste en juin prochain.

De 1985 à 1992, c'est la période d'«élargissement des horizons» pendant laquelle le Département a procédé à un important renouvellement du corps professoral. Ce renouvellement a donné lieu à la période du «nouvel essor», de 1993 à 1997.

L'exposition présente également divers objets empruntés à certains musées et qui servent à illustrer les champs d'études offerts au Département: l'histoire des sciences, l'Antiquité, le Moyen Âge, l'Europe moderne, l'Europe contemporaine, le Canada et le Québec contemporains, les Amériques et l'Asie.

Dans la section du bilan, on apprend que le corps professoral a publié, depuis la fondation du Département, quelque 200 ouvrages et récolté autour de quatre millions de dollars en subventions de recherche. Quant aux diplômés, on les retrouve un peu partout, soit dans l'enseignement, dans la fonction publique, dans les affaires, dans les communications et même dans une école de samba au Brésil!

L'inauguration de l'exposition a par ailleurs été l'occasion de lancer le deuxième tome de l'Atlas historique du Québec (PUL), consacré à la population et au territoire. L'ouvrage a été réalisé sous la direction de Serge Courville, de l'Université Laval.


À la recherche du temps

Pour son cinquantième anniversaire, le Département d'histoire s'est offert le luxe d'un blason qu'il entend utiliser comme représentation. On y retrouve les quatre époques de l'histoire occidentale, soit l'Antiquité (colonne grecque ou romaine), le Moyen Âge (tour), l'époque moderne (caravelle) et l'époque contemporaine (engrenages). La croix blanche ornée de fleurs de lys représente la francophonie.

Le blason est complété de la devise Unum omnibus studium temporis acti noscendi, ce qui veut dire «Unis à la recherche du temps». On en a aussi fait une épinglette.

Le concepteur, François Croteau, est un étudiant de premier cycle très actif au Département. Il est responsable des activités socioculturelles de l'association étudiante, responsable du journal étudiant Le Sablier et président du comité organisateur étudiant des activités du cinquantième anniversaire.

L'idée de ce blason a germé au cours de la campagne commune organisée par les étudiants et les professeurs du Département pour sauver le Centre de documentation.

Daniel Baril


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