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Religion, éducation et démocratie

Un enseignement culturel de la religion est-il possible à l'école?

À l'automne dernier, les états généraux sur l'éducation recommandaient de remplacer l'approche confessionnelle de l'enseignement religieux à l'école par une approche culturelle.

Un tel enseignement culturel, défini sur des bases strictement éducatives en dehors de toutes visées confessionnelles, est-il possible? C'est la question qu'ont voulu explorer les auteurs de Religion, éducation et démocratie, un ouvrage collectif dirigé par Micheline Milot, du Département de sociologie de l'UQAM, et Fernand Ouellet, de la Faculté de théologie de l'Université de Sherbrooke.

Jean-Pierre Proulx, du Département d'études en éducation et d'administration de l'éducation de l'U de M, y signe pour sa part une analyse des résultats de 23 sondages d'opinion effectués entre 1964 et 1996 et portant sur la confessionnalité scolaire. Il y décèle quelques tendances «lourdes» dans l'opinion publique qui, à son avis, marquent une préférence de la population à l'égard de l'enseignement confessionnel.

Paradoxe?

«Les sondages ont montré qu'une substantielle majorité de Québécois sont d'accord avec l'enseignement religieux confessionnel et qu'ils le préfèrent à l'enseignement moral non confessionnel dans un rapport de deux pour un», écrit M. Proulx. Il ajoute toutefois que la dimension éthique est l'aspect le plus valorisé de l'enseignement religieux, de même que la transmission du patrimoine religieux, qui paraît plus importante que la transmission de la foi.

Même si ces éléments semblent nuancer sa conclusion générale, il n'en pose pas moins une question qui, au seul regard des données des sondages, lui semble paradoxale et sans réponse: «Comment expliquer ce lien positif entre la religion et l'école alors que le Québec s'est depuis 40 ans largement sécularisé au plan religieux, que la pratique religieuse ne soit plus le lot que d'une minorité, que les institutions sociales et culturelles se soient déconfessionnalisées au tournant des années 1960?»

Selon Micheline Milot, la réponse au paradoxe est incluse dans les tendances observées par Jean-Pierre Proulx. «Ce n'est pas tant l'aspect confessionnel que celui de l'initiation à la religion qui est important» pour les parents, écrit-elle. «La population se montre favorable à une éducation morale et civique avec une initiation aux traditions religieuses dans une proportion de 71,8 %. [...] En l'absence de toute alternative offerte (dans l'école comme dans les questions des sondages), la volonté que l'enfant reçoive un enseignement religieux s'exprimera par un choix pour le seul enseignement existant.»

La sociologue se distancie ainsi des conclusions de son collègue des sciences de l'éducation.

L'expérience britannique

Pour répondre à la question posée par ce livre, le codirecteur de l'ouvrage, Fernand Ouellet, avance l'exemple britannique. Le théologien, qui considère comme «radicale» la simple proposition de remplacer l'enseignement confessionnel par un cours d'éthique ou de morale civique, s'est fait depuis plusieurs années l'apôtre de l'enseignement religieux de type culturel.

À ses yeux, l'expérience britannique d'éducation religieuse est une preuve que l'école peut aborder l'enseignement religieux par une approche à visées éducatives. Par «visées éducatives», il faut entendre une «contribution à l'éducation intégrale des élèves et [une ouverture] à la diversité des options dans le domaine religieux».

Pour ce qui est de la déconfessionnalisation, ceci pourra sembler bien timide, d'autant plus que chez nous le Comité catholique du Conseil supérieur de l'éducation tient le même langage avec les résultats que l'on sait. Les deux textes de Robert Jackson, du groupe Religions et éducation de l'Université Warwick, présentant cette expérience, ses paradoxes et les débats qu'elle suscite, nous donnent en effet l'impression que cet enseignement pourrait être qualifié de confessionnalité soft. On insiste lourdement sur le fait que l'éducation religieuse ne doit pas être que notionnelle et l'humanisme non religieux semble exclu des options présentées.

Quoi qu'il en soit, l'exemple a le mérite de répondre au Comité catholique, qui soutient que l'approche culturelle n'est pas viable.

L'éducation religieuse à la britannique échappe d'ailleurs au contrôle des institutions religieuses. Selon Fernand Ouellet, ce contrôle est le principal obstacle au déblocage de la situation au Québec. «Il devient de plus en plus clair, écrit-il, que si la situation est bloquée, ce n'est pas d'abord à cause du verrou constitutionnel, mais parce que les autorités religieuses refusent de laisser à des instances laïques le pouvoir de définir les orientations de l'enseignement de la religion à l'école.»

Démocratie

Même si l'ouvrage passe sous silence la dimension politique du blocage, il pose néanmoins la question essentielle de la démocratie dans ce débat. Tous les auteurs semblent d'accord pour ne pas réduire cette démocratie au seul désir des parents, à l'instar de ce qu'écrit Jean-Pierre Proulx: «Le consensus populaire n'est pas le seul fondement de la démocratie, tant s'en faut. Le limiter à cette seule dimension, c'est éventuellement sombrer dans une perversion de la démocratie, le gouvernement par sondage ou par l'"appel au troupeau". Les choix politiques doivent être évalués [...] en cohérence avec les buts qui marquent nos choix de société.»

La question de la démocratie apparaît tardivement dans ce débat, mais on aura sûrement l'occasion de se reprendre; le problème confessionnel nous tiendra sans doute occupés pendant encore plusieurs années dans le prochain millénaire.

Daniel Baril

Sous la direction de Micheline Milot et Fernand Ouellet, Religion, éducation et démocratie, Montréal, Éditions Harmattant, 1997, 257 pages.


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