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Entre médecine traditionnelle
et médecine professionnelle en Haïti

Deux étudiantes en sciences infirmières vivent une expérience
de «soins transculturels» dans les bidonvilles de Port-au-Prince.

Vous avez bien lu «soins transculturels». L'expression, qui peut paraître surprenante ou énigmatique, désigne simplement une approche multidisciplinaire qui tient compte des facteurs culturels et sociologiques liés aux conditions de santé et de leur influence sur les comportements à l'égard du système de santé.

Deux étudiantes de la Faculté des sciences infirmières, Caroline Tourigny et Sandra Romulus, ont expérimenté cette approche sur un terrain particulièrement démuni en ce qui concerne le du système de santé: Haïti. Elles y ont effectué, l'été dernier, un stage de un mois en santé communautaire et donnaient, le 4 février dernier, une conférence-midi sur leur expérience.

«Nos objectifs étaient de nous sensibiliser à la coopération internationale, de comprendre les influences politiques, économiques, religieuses et culturelles sur la santé et de voir comment une infirmière peut agir dans ce contexte», a précisé Caroline Tourigny.

Un mois dans les bidonvilles de Port-au-Prince, ce n'est pas le Club Med avec ses hélicoptères de Casques bleus! «L'espérance de vie en Haïti est de 57 ans et le taux de mortalité à la naissance est de treize pour mille», a indiqué l'étudiante en présentant la fiche de santé du pays. «Quelque 94 enfants sur 1000 meurent avant l'âge de un an! La malaria est endémique sur 80 % du territoire et le taux connu d'infection au VIH est de 8 % à 10 % dans les villes. Dans les cabanes de tôle des bidonvilles, les gens dorment à tour de rôle parce qu'il n'y a pas de place pour tout le monde...»

Les deux étudiantes ont effectué la moitié de leur stage à l'Hôpital de la communauté, où une infirmière de l'OMS supervisait leur travail. Elles ont ainsi joué un rôle d'agentes de santé en faisant de l'éducation populaire sur des questions comme les vaccins, la planification des naissances, l'alimentation et les vitamines tantôt dans les salles d'attente, tantôt au moment des visites à domicile. L'autre partie du stage s'est déroulée principalement dans un centre de «récupération nutritionnelle», où elles ont fait de la sensibilisation à une saine alimentation et à l'allaitement maternel.

Les maladies de Dieu et du diable

Même si Sandra Romulus est originaire d'Haïti, elle a tenu à bien préparer son stage en se documentant sur l'histoire, la géographie et l'économie du pays avant de partir. «La préparation mentale est indispensable à la réussite d'une telle expérience, a-t-elle souligné, même si c'est parfois difficile de le faire sans nuire aux études.»

Les deux stagiaires avaient en effet tout intérêt à bien connaître les moeurs du pays puisque dans l'approche transculturelle qui leur servait de modèle «l'infirmière est appelée à jouer un rôle de médiatrice entre la médecine traditionnelle et la médecine professionnelle, explique Sandra Romulus. Elle doit savoir maintenir les valeurs significatives liées à des conditions de santé adéquates et négocier des moyens plus appropriés aux besoins.»

Le modèle, emprunté à Madeleine Leininger, désigne au moins huit facteurs influençant les soins de santé ou les attitudes de la population à leur égard: la langue, la technologie, la religion, la philosophie, la structure familiale, les conditions socioculturelles, l'économie et la politique. La religion et la politique leur ont semblé les facteurs les plus manifestes de ces influences externes.

«Quelqu'un nous a dit que 99,9 % des Haïtiens pratiquent le vaudou, raconte Sandra Romulus. Pour eux, tout est mystique; si quelqu'un est malade, c'est parce que quelqu'un d'autre lui en veut. Ils ont quatre catégories de maladies: les maladies du diable, causées par les mauvais esprits; les maladies des loas, qui sont des saints chrétiens vaudouisés; les maladies de Dieu, qui sont des punitions mortelles; et les maladies dues aux causes naturelles comme la grippe.»

«Dieu est partout, ajoute Caroline Tourigny. Si ça va bien, c'est "grâce à Dieu" et on se revoit demain "si Dieu le veut". De telles conceptions posent un problème dans l'approche professionnelle surtout lorsque les médecins eux-mêmes y croient! L'infirmière doit savoir faire la part des choses.»

L'influence politique a pour sa part été tout aussi facile à repérer puisque, selon les témoignages recueillis, les conditions de santé s'étaient grandement améliorées grâce aux mesures sociales adoptées par le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide et elles se sont rapidement détériorées immédiatement après le coup d'État, en 1991.

Quant à la technologie, les étudiantes ont pu constater qu'elle est pratiquement inexistante. Dans une clinique, un médecin n'avait pas même un abaisse-langue pour faire ses examens de gorge; les patients devaient eux-mêmes aller s'en acheter un!

Une expérience enrichissante

Après une telle expérience, on ne voit plus les choses de la même façon. «Ce fut un choc d'aller en Haïti et s'en fut aussi un de revenir ici et de redécouvrir qu'on a le choix entre l'eau chaude ou l'eau froide, observe Caroline Tourigny. Nos valeurs changent, on s'en fait moins et on devient conscient qu'on a quelque chose à faire pour améliorer le sort des autres.»

Sandra Romulus se questionne pour sa part sur le réalisme de l'objectif de «santé pour tous» que veut atteindre l'OMS au tournant de l'an 2000. «Comment va-t-on outiller les infirmières dans des pays comme Haïti pour atteindre cet objectif?» Elle en revient tout de même avec un bagage inestimable de connaissances qui va l'aider à avoir une approche plus globale dans son futur travail.

Toutes les deux encouragent fortement les autres étudiants à réaliser des projets semblables et à profiter de l'expertise du CINESIUM, le comité de Coopération internationale et nationale des étudiants en sciences infirmières de l'Université de Montréal. Elles ont pu bénéficier, pour la réalisation de leur projet, d'un financement de 1000 $ de la fondation Jean-Coutu et de 700 $ de la Faculté des sciences infirmières... complété par l'incontournable vente de chocolat!

Daniel Baril


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