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Vers une psycho-immuno-pharmacologie

Hermann Dugas insuffle une nouvelle dimension à la chimie pharmaceutique.

La voie de la pharmacologie du prochain siècle est dans le développement d'une socio-immuno-pharmacologie ou d'une psycho-immuno-pharmacologie.» C'est du moins ce qu'entrevoit Hermann Dugas, professeur titulaire au Département de chimie.

Le professeur Dugas est un pionnier dans l'enseignement de la chimie bio-organique et il est le seul à offrir, au Québec, un cours où il jumelle à la fois la chimie pharmaceutique et la chimie agroalimentaire. Deux raisons justifient ce cours pour le moins original: «L'industrie pharmaceutique étant très importante à Montréal, il est essentiel que nos finissants en chimie aient une formation globale, déclare le professeur. De plus, certaines maladies comme le cancer et l'hypertension ont un lien direct avec l'alimentation; la chimie agroalimentaire permet alors au chimiste de mieux comprendre cette composante de la maladie.»

Biologique et psychique

Hermann Dugas estime par ailleurs que la pharmacologie seule demeure insuffisante pour lutter efficacement contre la plupart des maladies; il faut trouver un point de convergence non seulement avec la chimie mais aussi avec certaines sciences humaines comme la psychologie et la sociologie.

«En plus de l'aspect immunitaire, il y a toujours une composante émotionnelle, psychique et sociale de la maladie, soutient-il. Le médicament ne doit pas être dissocié de ces composantes. Le corps humain fabrique normalement tout ce dont il a besoin pour se défendre contre la plupart des agressions.» On aurait donc tort de délaisser le potentiel de notre propre organisme dans la lutte contre la maladie.

Un exemple de l'interaction entre le biologique, le psychique et le social nous est donné par l'interféron, une protéine de défense antivirale qui stimule notre système immunitaire. «Il est démontré que chez les dépressifs le taux d'interféron est plus faible; notre système immunitaire fonctionne donc mieux quand l'état d'esprit est positif. Si la prise de médicaments reste essentielle dans les cas de maladies graves, le malade ayant une attitude positive face à sa maladie va mieux résister que le malade dépressif.»

C'est ce qui explique, selon le professeur, pourquoi des personnes dépérissent rapidement lorsqu'on leur dit qu'il n'y a plus rien à faire et qu'elles abandonnent alors la lutte contre la maladie. «Si les personnes défavorisées sont souvent plus malades que les gens aisés, ajoute-t-il, c'est en partie parce qu'elles se nourrissent moins bien et que leurs conditions de vie sont plus stressantes.»

Hermann Dugas est conscient que l'approche peut paraître «un peu mystique», mais il demeure convaincu que la prise en compte des éléments sociaux et psychologiques de la santé constitue la voie de l'avenir en pharmacologie.

Une voie peut-être plus complexe et moins orthodoxe que la voie traditionnelle, mais le professeur Dugas est de ceux qui ne craignent pas de sortir des sentiers battus. «Le professeur doit être un catalyseur qui stimule l'anticipation et le développement de nouveaux domaines, avance-t-il. Il faut démolir le mythe du professeur "qui sait tout" et enseigner non seulement la connaissance mais aussi la non-connaissance. Il faut surtout sensibiliser les étudiants à ce qu'il reste à connaître et donner le goût des choses.»

Chimie bio-organique

Hermann Dugas a également fait sa marque dans l'enseignement de la chimie bio-organique. Le volume de base qu'il a produit pour cet enseignement, Bioorganic Chemistry, en est à sa troisième édition et a été traduit en japonais et en russe.

Essentiellement, la chimie bio-organique est l'étude des systèmes biologiques à l'aide de modèles moléculaires. «Nous créons des molécules simples qui reproduisent, par mimétisme, le fonctionnement naturel des molécules plus complexes, explique le professeur. Cette simplification facilite l'étude du fonctionnement des systèmes biologiques réels; si ça fonctionne dans des modèles simples, on peut alors inférer que le même processus se retrouve dans la nature.»

La chimie bio-organique a permis récemment de mettre au point de nouveaux dispositifs moléculaires qui pourraient avoir des applications dans des domaines aussi variés que l'ordinateur biologique, le stockage d'énergie solaire ou la production de médicaments antiviraux.

«Les molécules ont une sorte de mémoire, nous explique le chimiste. Si l'on déroule un ruban protéinique, il reprendra sa forme par la suite. Ceci est possible parce que l'information disposée le long de la protéine permet à chaque module de reconnaître son voisin; la protéine garde ainsi la mémoire de sa forme.» C'est cette propriété que l'on cherche à exploiter dans les recherches sur l'ordinateur biologique, qui pourrait voir le jour d'ici 10 à 20 ans.

Modélisation moléculaire

Aux cycles supérieurs, l'enseignement de la chimie bio-organique prend le virage informatique et recourt à la modélisation ou «design moléculaire sur ordinateur». Ici encore, Hermann Dugas a innové en concevant le premier cours donné au Québec dans ce domaine. Ses notes de cours alimentent d'ailleurs l'enseignement de cette discipline dans une trentaine d'universités dans le monde. Il a en outre été invité en Chine, où son volume de chimie bio-organique est utilisé, pour donner des cours pendant un mois aux universités de Beijing, de Nankai et de Shanghai.

«L'enseignement a des attraits bien intéressants», avoue-t-il. Mais il n'a pas pour autant délaissé complètement la recherche. Il collabore en effet à des études menées par l'Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) sur l'endorphine et l'enképhaline, deux hormones jouant un rôle dans le contrôle de la douleur. «Les personnes qui supportent mieux la douleur ont plus d'endorphine», souligne-t-il au passage.

Pour être matures, ces hormones ont besoin d'enzymes spécifiques appelées convertases. Ces enzymes agissent comme des ciseaux moléculaires en sectionnant en hormones actives les prohormones sécrétées par le cerveau. Les convertases de l'endorphine et de l'enképhaline ont été découvertes à l'IRCM par Michel Chrétien et Nabil Seidah. Les recherches se poursuivent pour mieux connaître la mécanique d'action de ces molécules. La contribution d'Hermann Dugas est de déterminer par modélisation moléculaire la structure d'un peptide inhibiteur.

De tels travaux de modélisation pourraient à long terme abaisser de moitié les coûts et la durée de la recherche pour la mise au point de nouveaux médicaments. Des perspectives réjouissantes si l'on considère que le coût moyen d'élaboration d'un médicament est actuellement de 300 millions de dollars et que la recherche prend de 10 à 15 ans!

Daniel Baril


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