Volume 1, numéro 1

Génétique
Le séquençage du génome humain a été trop vite annoncé

Le séquençage du génome humain est loin d'être terminé, croit l'endocrinologue et biochimiste Jacques Lussier. "L'annonce faite en février 2001 était prématurée, affirme ce professeur de la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal. Ce ne sont pas 85 % des gènes humains qui sont connus, comme on l'a prétendu, mais pas plus du tiers."

À la suite d'une recherche sur des gènes bovins menée avec des étudiants, ce chercheur spécialisé en reproduction animale a eu la surprise de constater que 45 % des séquences étaient absentes de la banque de données Genbank, où sont rendues publiques les données du génome. "C'est quand même incroyable qu'à partir de gènes pris au hasard on retrouve si peu de séquences connues", dit-il.

Pour le professeur Lussier, ce sont les intérêts économiques de l'entreprise privée, en particulier Celera Genomics, qui ont poussé les chercheurs à procéder à une annonce prématurée. À son avis, le séquençage complet du génome humain ne sera pas terminé avant 2003.

Rappelons qu'un consortium réunissant les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, le Japon et la Chine a annoncé le 26 juin 2000 la réalisation d'une ébauche de la séquence du génome humain. On prétendait alors que la "quasi-totalité du génome humain", autrement dit les 3,1 milliards de paires de bases qui composent notre patrimoine héréditaire, avait été décryptée. À Washington, le président américain Bill Clinton a qualifié ce 26 juin de "jour pour l'éternité". Tony Blair, premier ministre de la Grande-Bretagne, parlait du "premier grand triomphe technologique du 21e siècle".

L'objection qui vient spontanément à l'esprit du profane, c'est que le gène d'un animal n'est pas un gène humain. Au contraire, rectifie M. Lussier. Nier cela, c'est nier la théorie de l'évolution des espèces. "Un gène qui code pour une protéine donnée chez la drosophile a une identité en séquence très similaire chez l'humain", explique-t-il.

Par ailleurs, Jacques Lussier n'est pas le seul à dénoncer l'impatience de Celera et ses habiles manœuvres visant à attirer sur elle l'attention médiatique… et les investisseurs. Jean Weissenbach, un chercheur français engagé dans le décryptage du génome humain, dénonce sévèrement l'entreprise privée dans un numéro récent de Médecine/Sciences (17 mars 2001). Il parle de "résultats fallacieux" et d'"escroquerie". "Il subsiste 170 000 "trous" dans l'assemblage compartimenté de Celera et la structure d'au moins un tiers des gènes est incomplète", écrit-il.

Chercheur : Jacques Lussier
Téléphone : (514) 343-6111, poste 8363